J'entends crier partout : Que la Mort est cruelle !
La barbare qu'elle est ravit tout à la fois
Les jeunes, les vieillards et la laide et la belle,
Et n'épargne pas plus les pâtres que les rois.
N'est-ce pas la loi de la nature ?
Le Méchant tremble à son abord,
Le Sage le voit sans murmure.
Pour moi, quand viendra cette mort,
Je voudrais imiter le vieillard de la fable,*
Qui la couvrit de fleurs et la mit à sa table,
Puis s'en alla gaîment au sortir du festin.
Un homme heureux, un Sage enfin
(Car il n'est pas, je crois, de bonheur sans sagesse),
Par un chemin de fleurs parvint à la vieillesse,
Et s'en allait de même ; il touchait à sa fin.
La Parque avait filé sa soie,
Et ses jours ne tenaient que par un bout usé.
Sans attendre qu'il fût brisé,
La Mort, toujours pressée, alla chercher sa proie,
Elle entre au logis du vieillard,
Qui, le front ceint de fleurs, assis pour lors à table,
Buvait, et d'une vie, hélas ! trop peu durable,
Content, prenait encore sa part.
La Mort crut, pour le coup, qu'elle s'était trompée.
Cet homme est en festin, se dit-elle tout bas,
N'allons pas faire une équipée ;
Laissons-le doucement achever son repas ;
Nous le prendrons demain, — Déesse du Trépas,
L'on ne vous a point attrapée,
Dit le Sage en riant : c'est moi que vous cherchez.
Soyez la bien venue. Approchez, approchez ;
A mon couvert vous aurez place :
Dînons de compagnie, Allons ! de la gaîté,
Prenez de ce Falerne et faites-moi la grâce
De boire un coup à ma santé.
Quand on a, comme moi, couru la matinée,
Bêché son petit champ, visité ses amis,
Et qu'on attrape ainsi le bout de la journée,
Le plaisir au sage est permis.
— Vous voulez plaisanter, dit la vieille ; à votre âge,
Bonhomme, les plaisirs ne sont plus de saison.
Allons ! qu'on se dépêche ; il faut plier bagage,
Et me suivre,— Eh ! mon Dieu, je le sais ; ma raison
Me le dit tous les jours. Je suis prêt au voyage ;
Mais permettez au moins qu'en partant de ces lieux,
De quelques fleurs encor je sème mon passage.
Et là-dessus, voulant la traiter de son mieux,
Il fait asseoir la Mort, ceint de roses sa tête,
Lui présente une coupe, et les voilà tous deux
Trinquant comme en un jour de fête.
Puis le joyeux Vieillard prend sa lyre, et ses doigts
Retrouvent par hasard un reste d'harmonie.
Il chante, non les grands, les héros et les rois,
Chose qu'il ne fit de sa vie,
Mais les Dieux, l'Amitié, la Vertu, le Génie,
Qu'il avait chéris tant de fois.
A peine il eut chanté, qu'il sentit dans sa veine
Certain frisson courir ; son sang se refroidit ;
Son regard devint trouble, et sa main s'engourdit ;
Mais sa raison resta sereine.
— Il est temps, lut dit-il, de partir maintenant ;
Je ne veux pas vous faire attendre.
La vie est un dépôt que le Ciel un moment
Nous confie et qu'il faut lui rendre.
Laissez-moi dans vos bras m'endormir doucement.
En prononçant ces mots le bon Vieillard expire,
Sans peur, sans trouble, sans effort,
Ainsi qu'un convié d'un banquet se retire,
forme sa maison et s'endort.