Le Sage et la Mode Auguste-Alexandre Simon (1791 - 18**)

On dit qu'un certain jour la mode en sa folie,
Chez un sage, un Caton, tout à coup vient s'offrir,
Agaçante, parée, invitant au plaisir,
Se prodiguant le fard pour paraître jolie.
Inconnue, apprends-moi qui t'amène en ces lieux,
Dit le sage étonné d'une telle aventure ;
Minais mon humble toit ne vit tant de parure ;
Es-tu quelque génie envoyé par les dieux ?
Je viens, répondit la coquette,
Te proposer de changer ton destin ;
Dû vrai bonheur tu nie parais si loin !
Pour t'y fixer écoute ma recette :
Pare d'abord ton extérieur ;
Qu'à tes habits grossiers succède l'élégance,
Et quoique pauvre, affiche l'opulence.
Donne à les actions l'aplomb, l'air de grandeur :
Ce que vulgairement on appelle solide,
Ne doit nullement l'occuper ;
Le principal est de briller ;
Voilà le sentiment qui doit être Ion guide.
Parle de tes laquais, de ton train de maison,
Ajoute quelquefois des litres de noblesse ;
Un de masque Ires-bien certaine petitesse,
Pour qui sait, à propos, en décorer son nom.
En suivant mes avis lu seras à la mode,
Honoré, sans vertu, bonne table chez loi ;
Qui plus est, sans argent ; dis-moi, de bonne foi,
S'il est plus beau destin, et surtout plus commode ?
Le sage à ce discours aussitôt repartit :
Sans argent, fortuné, j'ai peine à vous comprendre,
Je voudrais bien savoir comment il faut s'y prendre...
Pauvre sot, dit la mode, à quoi sertie crédit ?
Suis le courant, marche à ma guise ;
Bel habit de nos jours arrondit le gousset ;
Emprunte et ne rends point, voilà tout le secret
De qui souvent est sans chemise.
Mais ici je m'amuse et je perds mon latin.
Je ne lis rien de bon sur ton triste visage ;,
Dans un humble réduit, vis obscur, vis eu sage ;
L'honneur te ruinera, suis en sot son chemin.
Pour s'enrichir, c'est vrai, trop d'honneur incommode,
Qui veut trop y tenir s'aperçoit promptement
Qu'il faut pour acquérir, ou devenir puissant,
Que l'honneur se mette à la mode.

Livre I, fable 19




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