Les Oiseaux de passage Louis-Jules Mancini-Mazarini (1716 - 1798)

Tout est soumis au calcul ici-bas :
La gloire, le bonheur, le destin des états ;
Et la meilleure politique
Est celle qui jamais ne fait le moindre pas
Sans consulter l’arithmétique.
Si les vainqueurs de l’Amérique
D’un tel système avaient fait quelque cas,
Le nouveau monde en serait bien plus gras.
Et celui-ci bien moins étique.
Sur ce sujet prenons une leçon
Des raisonneurs que fait parler Ésope ;
Qu’importe de quelle façon
La vérité se développe ?
Un essaim d’oiseaux passagers,
Bien engraissés dans nos vergers
S’en retournait après vendanges,
Fendant les airs en légères phalanges,
Et revenait à ses foyers.
Arrivés à la métropole
Us sont en butte à tous les yeux ;
Parents, amis, jeunes et vieux,
Autour d’eux chacun trotte et vole ;
Et bientôt tous les curieux
Deviennent autant d’envieux.
Voyez , disait-on, quelle graisse !
Quel air de santé, de jeunesse !
Ils peuvent bien jeûner longtemps.
Quand ils partirent ce printemps,
Ils étaient secs comme nous sommes ;
Ah ! qu’il fait bon voyager chez les hommes
Oui certes, vous avez raison ;
Grains et fruits y sont à foison,
Dit le chef de la colonie :
On y fait toujours chère lie ;
Mais le tout est d’en revenir,
D’échapper aux lacets, au fusil, à l’orage.
Daignez, messieurs, vous souvenir
Quel nombre nous jetions en quittant cette plage,
Et comptes combien nous voilà :
Ce n’est qu’après ce calcul-là
Qu’il faut juger des profits du voyage.

Livre I, fable 14




Commentaires