Un habitant de l’Amérique
Voyageait en Europe. Il roulait voir de tout :
Cet Indien avait du goût.
Il observait, non pas la politique,
Mais le terroir, les fruits et le climat ;
C’est à quoi volontiers tout Sauvage s’applique ,
Plutôt qu’à régir un état.
Un jour étant en Angleterre
A parcourir la villa d’un milord,
Le jardinier le conduit à la serre. .
L’Indien entre, et dès l’abord
Il reconnaît avec transport
Les ananas, ce fruit de sa patrie,
Que l’européenne industrie,
Et notre luxe enclin à tout oser ,
Dans nos jardins veut naturaliser.
Il en prend un, l’ouvre, le sent, le goûte.
Oh oh ! dit-il, la forme et la couleur
M’avaient trompé ; mais, somme toute,
Notre ananas est ici sans saveur,
Et ne vaut pas ce qu’il y coûte.
Chaque territoire a sans doute
Sa vertu, sa propriété ,
Dont l’effet est ailleurs toujours mal imité.
Songeons à cette vérité
Quand de notre pays nous reprendrons la route :
Tel fruit, qui vient ici fort bien,
Peut-être là ne vaudrait rien.
L’Américain raisonnait juste,
Et son mot est un mot de poids :
En fait de mœurs, en fait de lois ,
Tout aussi bien qu’en fait d’arbuste,
Ne transplantons rien qu’avec choix.

Livre I, fable 13




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