Le Corbeau vaniteux Léon-Pamphile Le May (1837 - 1918)

Tous les ambitieux qui trahissent leur caste
Et pour leurs vieux amis n’ont plus aucuns égards,
Tous les sots vaniteux qui recherchent le faste
Et veulent sur leur tête attirer les regards,
Ne sont pas fortunés, vous pouvez bien m’en croire,
Comme le lièvre fat dont j’ai redit l’histoire
 Dans le fabliau précédent.
 Et, pour prouver ce que j’avance,
 Comme fait un homme prudent,

Je vais vous raconter, ce n’est pas médisance,
Un fait que vous pourrez redire à votre tour.

Un corbeau des plus noirs, déjà sur le retour —
C’est dire qu’il passait la moitié de la vie —
N’avait pu dominer un sentiment d’envie
À l’égard des oiseaux au plumage éclatant.
Il croyait que le sort l’avait, hélas ! fait naître
Le plus laid d’entre tous et le moins important.
Il se trompait beaucoup ; car il faut reconnaître
Qu’il n’est pas du tout laid et qu’il est le plus fin :
Mais quand l’envie aveugle elle vous rend injuste.

 Continuons enfin,
Notre corbeau rêvait, perché sur un arbuste,
 À son humble condition,
 Ne faisant pas attention
Aux chasseurs qui rôdaient avides de carnage
 Dans le voisinage.
 Non, les chasseurs des champs
 N’étaient pas si méchants
 Et je les calomnie.
Ils virent en effet le vaniteux corbeau,
 Mais poussèrent la vilenie
 Jusqu’à ne pas le trouver beau,

 Et s’en allèrent en silence
 Sans troubler son obscure paix.

Le corbeau, cependant, en rêvant d’opulence,
 S’envola vers un bois épais,
Et là, par un hasard qui me semble assez drôle,
Il trouva, suspendue à la branche d’un saule,
 La dépouille d’un perroquet.
Il en fut enchanté, retrouva son caquet
Et se mit à jaser en tâtant chaque plume.

— Celle-ci, disait-il, va faire, je présume,
 Un collier de pourpre à mon cou ;
 Cette grande donne à mon aile
 Une envergure solennelle :
 Et cette autre, où la mettrai-je ? où ?
 Sur ma tête même,
 Comme un diadème !
 C’est bien cela.
 Et celle-là ?
 Oh ! cette longue bleue,
 C’est toute une queue !…

 Tout en monologuant,
 Le pauvre extravagant

Se hâtait d’ajuster cet éclatant mélange
 Et de plumes et de couleurs.
 Il pensait que les oiseleurs
Seraient bien étonnés de son aspect étrange.
Il ne se trompait point : les chasseurs, l’ayant vu,
 Se dirent tout remplis de joie
 Que c’était une rare proie ;
Et l’un d’eux, épaulant pour ce coup imprévu
 Son arme meurtrière,
 Tira d’aplomb,
Et le pauvre corbeau finit là sa carrière :
 Il tomba tout criblé de plomb…

Plus d’un, en se parant d’un éclatant plumage
 Qui ne devait pas être sien,
 Souffre, hélas ! un mortel dommage
 Et dans son âme et dans son bien !

Livre II, fable 11




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