La Colombe plaidant contre le Corbeau Fables du bonhomme de la Vallée du Perche (XIXème)

Vous souvient-il des derniers jours d'automne y
Lorsque déjà le vent du nord
Précipitait dans le cours de l'Yonne
La feuille jaunissante et la fleur de son bord ?
C'était bien le signal du deuil de la nature :
Vos prés, vos vergers, vos coteaux,
Et ce joli dôme d'ormeaux
Sous lequel la brebis allait chercher pâture,
Avaient perdu leur parure.
Des antiques donjons
Nous vîmes déloger gazouillante hirondelle
Aux beaux climats toujours fidèle :
Au castel restaient les pigeons.
Presque tout nous quittait; et, livrés à nous-mêmes,
Au foyer pétillant, parmi mille poèmes
De nos jeunes céladons,
Nous choisîmes celui delà Chute des feuilles.
Mon âme, ce sont là pensers quo tu recueilles!
Douce voix d'un cœur aimant
Sait toujours trouver la route ;
Pour les douleurs je doute
Qu'on invente un meilleur calmant.
Tout répondait à l'état do mon âme;
La nature et son deuil, l'accent de l'amitié
Qui, bien mieux que l'amour et sa brûlante flamme,
Réchauffe l'homme expatrie.
Vous me dites, madame: « Acceptez ce présage
D'un prompt retour en vos foyers »
Après de longs hivers,
D'Huisne j'ai revu le rivage,
Et le riant bocage
Où, jeune enfant, j'ai compté de beaux jours :
C'était l'âge
D'innocentes amours.
One je n'avais connu l'envie :
Je souriais; un souris,
Un baiser maternels embellissaient ma vie :
Sur le sein d'une mire a-t-on vu les soucis?
Après le calme la tempête
Tel est le cours des choses d'ici bas.
Quo les roses toujours couronnent votre tête :
Que ne puis-je jeter quelques fleurs sous vos pas!
Je n'ai que des douleurs Je vois tant d'injustices,
Tant de crimes publics, de coupables caprices
Accabler les humains!
Le faible et l'innocent retrouvent des Caïns ;
Affreuse race
Qui, comme un serpent, nous enlace
Et rembrunit les jours les plus sereins.....
Je viens en apporter la preuve.
Il s'agit d'un oiseau bon et sentimental,
Pour lequel vous avez souvenir spécial.
Colombe jeune et veuve,
Mère de trois enfants,
Pour ses voisins comptait mauvaises gens.
Un corbeau chicaneur et par-là même injuste,
Sans entrailles, sans foi,
S'étant niché près de l'arbuste
Où logeait la colombe, en augmentait l'effroi.
C'était toujours cris et querelle
De la part du manant,
Qui fit tant
Qu'il en vint à citer la bonne colombelle
Pardevant
Qui ? Dame la buse.
Seigneur corbeau n'est pas fort éloquent :
Eh! qu'importe, il accuse;
Et par ruse
Que n'obtient pas un brigand?
« J'avais, dit-il, acheté deux sarcelles
Pour mes petits et pour moi;
Madame et 6es colombelles
Tombent dessus..... J'invoque do la loi
La suprême puissance.
Jo suis dans l'indigence,
Le président connaît ma bonne foi. »
La colombe timide
Prouve que le perfide
Est le plus insigne imposteur.
«Du sang n'ai-je pas horreur?
Dit la pauvrette.
A l'août je guette
Le départ du moissonneur.
Quelque grain suffit à la vie
De mes jeunes enfons :
Les moutons encor palpitants,
Comme à monsieur, ne me font point envie.
— Assez, ma mie,
Reprend la buse, et par la loi
Vous êtes condamnée
A fournir au corbeau, sur la fin de l'année,
Deux lapins, six vanneaux, lesquels de bon aloi:
Et faute d'obéir, je vous verrai traînée
En prison.... S'il le faut, je paierai le convoi.
Vous êtes coupable:
C'est détestable
De voler ses voisins. »
Trois orphelins
Vinrent bientôt redemander leur mère :
On déclara leur plainte mensongère.

Qu'attendcz-vous de deux fripons ?
— Un juge doit placer dans la balance
Les faits qui prouvent l'innocence
— C'est vrai; mais je réponds
Que le corbeau chez madame la buse
Ayant passé de grand matin,
Lui promit sa part du butin.
Est-ce le seul arrêt obtenu par la ruse ?

Livre I, fable 13


Titre complet : La Colombe plaidant contre le Corbeau pardevant la Buse

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