Le Braconnier et la Colombe Etienne Catalan (1792 - 1868)

Certain Croquant, une arbalète en main,
Pour braconner sortit de grand matin.
Le drôle n'en était à son apprentissage ;
Plus d'une fois, déjà, le champ voisin
Avait fourni de gibier son ménage.
Caille ou perdrix, lièvre ou lapin,
C'était tout un : aux Gueux, pourvu qu'il soit butin,
Tout paraît ortolan ; et d'un pigeon sauvage,
La veille, nos larrons avaient fait leur souper.
Mes Enfants, nous avons, ce soir, mangé le père ;
Je sais le nid, demain je vous promets la mère :
Bien habile serait de vouloir m'échapper ! -

La pauvrette n'y songeait guère ;
Toute la nuit, en proie à sa douleur amère,
Elle avait, mais en vain, attendu son époux :
Qui peut le retenir ? qu'il tarde ! disait- elle ;
M'abandonnerait-il pour quelque amour nouvelle ?
Lui !...Pourquoi l'offenser par mes soupçons jaloux !
Il est père, et toujours il me fut si fidèle...
Mais, l'an passé, l'Autour à la serre cruelle
Là-bas surprit un Tourtereau :
Je frémis ! le brigand, d'un attentat nouveau,
A-t-il souillé ces lieux ? Hier, je le vis encore
Planer non loin de ce coteau...
Hélas ! bientôt, voici venir l'aurore,
Et, depuis le déclin du jour,
J'interroge en vain les ténèbres ;
Le Hibou, par ses chants funèbres,
Seul répond à mes chants d'amour ;
O mes Enfants ! n'est-il, pour nous, plus d'espérance ?
Pour lui n'est-il plus de retour ? ……
Que vois-je ? l'ormeau se balance !
Est- ce toi, cher Époux ? Et, prompte, elle s'élance
Hors du nid : pauvre Oiseau, son amour l'a perdu !
La Mort l'attendait là dans l'ombre et le silence :
Le Braconnier, son arc tendu,
L'ajuste le trait part, frappe au cœur la Colombe' ;
Sous le poids du fatal roseau,
Elle va, vient, tournoie, et s'élève et retombe...
Mais, sa Couvée appelle : à ce doux chant, l'Oiseau,
Dans ses entrailles maternelles
Retrouvant des forces nouvelles,
De ses chers nourrissons regagne le berceau,
Et meurt en les couvrant de ses sanglantes ailes !...

Lors, sentant un certain émoi,
Le Manant ose à peine enlèver sa victime :
Je tremble, disait-il, ai-je donc fait un crime ?...
Crime ! c'est jeu d'enfant... Il se peut ; mais, ma foi,
Pauvre Oiseau, j'en conviens, tu valais mieux que moi,
Ainsi fit le Manant, ainsi font tous les hommes :
Sages et fous, grands et petits,
Le point, pour tous tant que nous sommes,
C'est d'assouvir nos appétits ;
Habiles à troubler les lois de la Nature,
Nous traitons de jeu tout méfait,
Et, si parfois en nous la voix du bien murmure,
Ce n'est, presque toujours, que quelque feinte allure
D'un remords qui nous vient lorsque le mal est fait.

Livre II, fable 9




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