Pendant de longues années
Dames brebis se virent gouvernées
Par un berger, homme de bien,
Garçon d'honneur et bon chrétien.
Le troupeau, sous sa houlette,
Coulait des jours heureux:
Chaque soir, sur l'herbette,
Les agnelets, au son de la musette,
Dansaient, tandis que deux chiens vigoureux
Faisaient le guet aux portes de l'enceinte
Où, sans crainte,
Petits moutons n'interrompaient leurs jeu
Que pour brouter la feuille parfumée.
Dès que ta lune argentait le coteau,
Le berger diligent, au son du chalumeau,
Ramenait au bercail sa troupe bien aimée.
Peuple mouton, comme le genre humain
Se dégoûte de tout; assez souvent préfère
A l'honnête homme un aigrefin,
Au bon pasteur le mercenaire.
Il arriva qu'un avaricieux,
Un loup du voisinage
A force de patelinage
Et de propos séditieux,
Aux brebis rendit odieux
Le berger et son entourage.
Or, pour mieux prendre son gibier,
Jl s'affuble, avec art, de la peau d'un bélier.
Après cette métamorphose,
Maître loup vient plaider sa cause.
« Mes amis, je plains votre sort :
Depuis longtemps votre esclavage
M'attriste; et je présage
( Dites-moi si j'ai tort)
Que, lassés de la tyrannie,
Vous demandez aux dieux
Un bras officieux
Qui puisse anéantir l'affreuse félonie
Qui fit peser son joug sur vous et vos aïeux.
Le ciel a compris vos plaintes;
11 vous donne un libérateur.,.,.
Je veux vous mettre à l'abri des atteintes
Du berger, de ses chiens. Oui, pour votre bonheur,
De mon repos je fais le sacrifice...
Je suis riche et puissant :
Prenez mon bien, c'est justice.
Fasse le ciel que je puisse
Rendre mon règne florissant !
Ayez berger de voire race:
Suivez-moi; je vous débarrasse
De toute domesticité :
Vous pourrez, en liberté,
Paître dans la campagne,
Parcourir le vallon et gravir la montagne ;
Vous n'aurez d'autre loi que votre volonté. »
Il dit à petits pas, quittent la bergerie,
Brebis, jouet de la friponnerie,
Tandis que le berger et les chiens, tout ronflait.
Sire loup se roulait
Dans sa fourrure,
Et je vous jure
De bon cœur enrôlait
La gent moutonne.
Après un long trajet le troupeau se cantonne,
Sur le bord d'un ruisseau.
Le loup-berger là vous sermonne
Un agneau
Qui, s'arrêtant sur la rive fleurie,
Regardait, avec rêverie,
Du côté de la bergerie,
Qu'il regrettait du fond du cœur.
« Vous êtes un conspirateur »
Dit nôtre loup ; puis sur l'heure
Etrangle le pauvre mineur.
La mère do l'agneau gémit, soupire et pleure...,
Or le loup, rejetant son habit emprunté:
« Vous êtes son complice !
Faisons-nous justice
Sans autre formalité. »
Tandis quo le glouton, dévorant ses victimes,
Méditait de nouveaux crimes,
Le berger inquiet arrive avec ses chiens
De nos brebis les vrais gardiens
Assomment le compère :
Ce fut heureux pour la gent lanifère.
Depuis mil ans et plus,
Qui n'a pas dit aux moutons, à mille autres :
Sous la peau de brebis craignez les faux apôtres ?
Moi do le répéter je suis presque confus.