Les Renards et les Lièvres Pierre Bergeron (1787 - 18??)

Las d'un gouvernement qu'ils trouvaient tyrannique,
Jadis les animaux voulurent en changer ;
Mais cet élan patriotique,
Comme on le pense bien, n'était pas sans danger.
Sa majesté lion réunissait près d'elle,
De soldats, de gardes- du-corps
Une troupe brave et fidèle,
Qui du peuple pouvait comprimer les efforts.
Cependant on sonne l'alarme,
On s'assemble de tout côté,
On s'émeut, on s'excite, on s'arme,
Au cri mille fois répété :
Ou la mort, ou la liberté!
Aussitôt les choses empirent.
Léonistes, indépendants,
S'attaquant des griffes, des dents,
Hurlent, se mordent, se déchirent,
Et, des deux parts, bien des héros expirent.
Enfin le sort mit le holà,
En protégeant la bonne cause.
Quant au lion, on l'exila,
Ou si l'on veut, il s'en alla,
C'est à peu près la même chose.
Avec lui furent renversés
Les partisans du précédent régime,
Et l'on trouva très légitime
Que de leur poste ils fussent tous chassés.
De là, beaucoup de places vides,
Où chacun, quel qu'il fut, voulut avoir accès,
Et les plus étrangers aux glorieux succès,
Ne furent pas les moins avides.
Aussi vit-on plus d'un renard
Qui, dans la crise politique,
S'était tenu prudemment à l'écart,
A la gratitude publique,
Sans rougir, prétendre avoir part.
De même on compta plus d'un lièvre
Qui de peur ayant eu la fièvre,
Au gîte s'était tenu coi ,
Et qui n'en vint pas moins réclamer un emploi.
C'est ainsi qu'à force de brigue,
De forfanterie et d'intrigue,
Les plus hardis, les plus adroits
L'emportèrent sur tels qui n'avaient que leurs droits ;
Et ce que peut-être on ignore,
C'est que ceux que l'on vit faire ainsi leur chemin,
Ou lièvres, ou renards, on les appelle encore,
Les animaux du lendemain.

Fable 26




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