Deux soeurs par nuit assombrie
Gravissaient de compagnie
Un sentier infréquenté.
Grace au falot dont sa main prévoyante
Projette au loin la clarté,
L'une des deux, Antigone constante,
Au sein de l'obscurité
De l'autre sœur avec sécurité
Guidait la marche imprudente.
D esprit fort aventureux,
A tout propos prête a changer de lieu,
Cette autre sœur, ardente aux découvertes,
A sentier déjà battu
Préférait route déserte
Par amour pour l'inconnu.
Sa belle et douce compagne
Gourmandait ce trop d’ardeur,
Mais vainement; des flammes de la montagne
La curieuse, au loin dans la campagne,
Aperçoit vive lueur ;
— « Vois tout là-bas cette brillante flamme,
Dit-elle, vite! ah! courons-y, ma sœur !
— Oh! garde t’en, sur ton âme !
Ce n'est qu'un feu trompeur...!
C'est feu dont l’éclat, ma chère,
Plus que ton falot éclaire ;
Nargue à ta timidité !
J'aime a saisir toute fortune offerte
A ma curiosité. »
Elle dit ; s’élance, alerte,
Ou l'attire la clarté ;
Mais y trouve, hélas! sa perte;
Un abime l’engloutit.
Ce feu n’était que trop un feu maudit.

Ces deux sœurs, l'une Antigone prudente,
L'autre à tout connaitre ardente,
Sont la science et la religion
Puisant sa force en pareille union.
Qu’elle abandonne la voie,
Ou sa compagne est guide si parfait...!
La science se fourvoie,
Et trouve au bout du trajet
Sombre abîme et feu follet.

Livre V, fable 5


Bouzaréah, 29 janvier 1854.

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