Sombre, inquiet, hargneux et rogue,
En somme méchant compagnon,
Chez un Lord vivait certain Dogue
Aboyant sans motifs et mordant sans raison.
Serviteurs, étrangers, amis de la maison,
Nuls devant lui ne trouvaient grâce,
Et leurs chausses portaient la trace
De ses dents,
Leurs chausses et parfois la chair en méme temps ;
Méme aux enfants ils donnaient chasse
Et jusqu’aux chiens, compagnons du manoir,
Avaient une ample part dans les coups de boutoir.
Au reste, Dogue et Lord faisaient la paire ;
C’était même humeur noire et même caractère,
Rongés de spleen à l'unisson
Et prenant l'un sur l'autre exemple.
Jamais plus vrai ne fut l’ancien dicton
Que qui se ressemble s’assemble.
Même en rêvant l'un au chenil jappait
Et l'autre en son lit maugréait ;
Tant leur nature était atrabilaire.
Tout en jappant, mordant, le Dogue devint vieux.
Méchanceté n’empêche jours nombreux;
Mais enfin la sœur filandière
De filer pour lui se lassa.
Il mourut ; à la ronde un long alléluia
Fut entonné pour oraison dernière.

De cet apologue il ressort
Une moralité que pose La Bruyère :
Tel homme met sa vie entière
A faire, hélas! consoler de sa mort.

Livre V, fable 10


Alger, 17 Mars, 1854.

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