Le Dogue et le Roquet Le Marchant de Viéville (17?? - 18??)

Non loin d’une large rivière,
Tranquillement un Dogue sommeillait ;
Corps arrondi, ventre à plat, nez sur terre ,
En cet état fortement il ronflait.
Un Roquet passe, et de sa voix perçante
Le réveille mal-à-propos.
Cette espèce est impertinente,
Et, dans tous les états, vient troubler le repos
Du sage qu’elle impatiente.
Il tourne autour de lui, le harcèle et le mord.
Le Dogue lève enfin sa tête appesantie :
Et, pouvant aussitôt décider de son sort,
Par bonté lui laisse la vie,
Bâille, s’allonge et se rendort.
Le mutin ne quitte pas prise,
Et cet acharnement fait voir que le Roquet,
Dans sa légère tête, a formé l’entreprise
De l’étourdir de son aigre fausset.
Sans se troubler et sans colère,
Le Dogue alors se dit en l’approchant:
« Entre ce petit téméraire
» Et moi, je vais mettre à l’instant
» Une sûre barrière. »
Il le saisit au col avec tranquillité,
Passe à la nage la rivière,
Le dépose à l’autre côté
Sans le blesser de sa dent meurtrière,
Repasse l’eau tout seul avec célérité ,
Et revient fermer la paupière,
A l’endroit qu’il avait quitté.
Du Dogue imitons la prudence :
Et loin de se venger d’un plus faible que soi,
Forçons-le seulement d’être à quelque distance,
Quand nous pouvons donner la loi.

Livre I, fable 1




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