Le Dogue et les trois Chiens Pierre Bergeron (1787 - 18??)

On avait, dans une corbeille,
Entassé les débris d'un repas de la veille,
Rôtis, jambon, pâtés, dessert ;
Et, mis en faction par le maître qu'il sert,
Un vieux dogue guettait de l'œil et de l'oreille.
Lorsque trois autres chiens, par l'odeur alléchés,
Se glissèrent dans la cuisine.
Dès qu'ils se furent approchés,
Que de la sentinelle ils eurent vu la mine,
Tous trois furent bien empêchés.
Mais comme ils avaient de l'usage,
Pour apprivoiser le gardien,
Ils composèrent leur visage,
Et prirent un humble maintien.
Or quels étaient ces parasites ?
Un lévrier au corps souple et fluet,
Un épagneul, joli , soyeux, coquet,
Un vieux caniche, enflé de ses mérites.
Pour tacher d'avoir un lopin
Du festin,
Pleins d'appétit et d'espérance,
Tous trois firent la révérence
Devant monseigneur le doguin,
Et le traitèrent d'Excellence...
Pour captiver sa bienveillance,
Le caniche à mi-voix lui dit qu'au domino,
Il aurait battu Munito.
Se fiant à sa gentillesse,
L'épagneul montre sa souplesse,
Et fait l'aimable de son mieux.
Le lévrier s'en tient à faire la courbette,
Mais tant de fois il la répète,
Que notre dogue a peine à rester sérieux.
Puis il leur dit d'un ton ferme, mais gracieux :
Vous méritez tous trois, je n'en fais aucun doute,
Ce que vous venez demander ;
Mais je ne puis vous l'accorder :
Mon devoir avant tout; c'est hui seul que j'écoute.
Avouez que je n'ai pas tort. »
Et là-dessus il les renvoie.
À peine ils sont sortis, qu'aussitôt, au plus fort,
Contre lui chacun d'eux aboie.

D'abord humbles, rampants, complaisants et flatteurs,
Pour arriver au but que leur âme souhaite,
Puis du pouvoir insolents détracteurs,
Si leur ambition n'est enfin satisfaite,
Voilà bien les solliciteurs !

Fable 39




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