Le Lion et la Genuche Pierre Bergeron (1787 - 18??)

Un lion, grâce à son courage,
Des tigres et des ours domptant l'aveugle rage,
Les avait mis à la raison,
Et chassé, comme on dit, l'orage,
Loin du politique horizon.
Quand un roi veut qu'on l'aime et non pas qu'on le craigne,
D'ordinaire, aisément il fait bénir son règne ;
Or tel était notre lion.
Il chérissait la paix, et détestait la guerre,
Pour le bien de la nation ;
Mais ses sujets ne pensaient guère
Lui devoir le bonheur de leur position ;
Rarement même ils lui donnaient des marques
De respect et d'affection ;
Aussi je plains bien les monarques
Et leur triste condition.
Reprenons cependant le fil de notre histoire.
Ces animaux pour leur prince si froids,
Savaient, et vous allez m'en croire,
Se passionner quelquefois.
Une guenuche fort jolie,
Svelte et de tout point accomplie,
Chez eux arriva par hasard.
C'était un prodige, un miracle,
Une merveille dans son art,
Et, pour assister au spectacle,
On accourut de toutes parts.
Notre guenuche fit des sauts. des cabrioles,
Des gambades et des écarts,
A faire devenir toutes les têtes folles .
Si bien que le public à la fois exclama :
Brava ! brava ! bravissima !
C'était un bruit ! une tempête !...
Mais voici bien une autre fête ;
Au milieu des cris, des bravos,
L'on se dispute, l'on s'entête
A qui la portera chez elle sur son dos...

Vous riez ? Pourquoi donc ? Est-il moins ridicule,
Quand à des rois à peine on ôte son chapeau,
De descendre à l'emploi de cheval ou de mule,
Pour s'atteler au char, au brillant véhicule
D'une belle danseuse auteur d'un pas nouveau ?

Fable 40




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