Sire Lion avait de vrais amis
Qui lui portaient l'intérêt le plus tendre ;
Voilà certe de quoi surprendre,
Un tel bonheur aux rois est rarement permis.
Comme il les connaissait francs, loyaux et sincères,
Notre lion souvent confiait à leur foi
Les contrariétés, les soucis, les misères
Que le pouvoir traîne après soi.
Or j'ai lu dans une chronique,
Qu'un jour avec l'un d'eux il eut cet entretien :
-Mon cher ami, je veux le bien,
Et cependant, pour la chose publique ,
Vous le savez, je ne peux presque rien .
A l'égard des lions la défiance est telle
Que l'on m'a mis en curatelle ;
J'ai moins de liberté qu'un simple citoyen .
Que je veuille une bonne chose,
Je ne peux pas l'exécuter.
Sur chaque point que je propose,
On doit auparavant longuement discuter ;
Et quand ce serait même une affaire d'urgence ,
Il ne faut pas compter sur plus de diligence ,
Sur des discours plus brefs , sur de plus courts débats ;
On parle, parle, parle, et l'on n'en finit pas.
Si l'esprit de parti s'en mêle,
C'est encore un autre embarras ;
On se chamaille, on se querelle ;
Quant au point principal, on en fait peu de cas.
-Si vous agissiez seul , tout marcherait plus vite,
Répliqua l'interlocuteur.
-Silence ! contre vous craignez qu'on ne s'irrite,
Qu'on ne vous traite de flatteur .
Mais une chose encor m'afflige :
De la royale majesté
On a détruit tout le prestige,
En enchaînant sa volonté.
Les lions sont-ils tant à craindre ?
D'ordinaire ils sont généreux.
Jadis les animaux étaient-ils plus à plaindre,
Quand mes prédécesseurs avaient tout droit sur eux?
Répondez franchement, mon cher ami , j'écoute...
Et l'ami répondit : - Si j'en crois mon bon sens,
Je dois vous l'avouer, j'en doute ;
Car j'aime mieux avoir un maître que deux cents.