Le jeu fut de tout temps source de zizanie :
Epaphus, Phaëton, vivaient de compagnie,
Et même se traitaient d'amis ;
Ils sont au jeu , voilà tout compromis.
Phaëton gagnait trop ; Epaphus , en furie,
S'en venge par la raillerie;
Tous les enfants, dit-il, des pères inconnus
Du hasard sont les bienvenus...
Que dites-vous ? Apollon est mon père...
Oui, répond Epaphus, si l'on en croit ta mère.
A ce propos survient grande rumeur.
On les sépare ; et , rempli de fureur,
Phaëton court au palais de Climène,
A qui ce différend est déjà parvenu.
Un nouvelliste était venu,
Et pour son fils la dame était en peine.
Elle se lève , et va dans son boudoir
Cacher l'humeur que lui donne la chose ;
Les Sœurs sont là; toutes trois à l'ouvroir,
Tout en brodant il faut bien que l'on glose,
On le ferait , même en manquant d'objet:
Pour le présent on avait un sujet ;
L'une disait (c'est, je crois, Phaëtuse) :
Mes chères Sœurs, voyez si je m'abuse,
Quand je vous dis qu'on aura du regret
D'avoir tenu cet hymen trop secret.
Et n'en déplaise à notre noble père, "
Quand de sa gloire il parait si jaloux;
Et qu'il craint tant d'avouer notre mère,
Il est bien clair qu'il nous compromet tous.
Depuis longtemps si l'on m'en avait crue,
Ce que l'on ache aurait percé la nue.
A l'Océan Climène doit le jour,
Par sa beauté, comme par sa naissance,
'Elle peut bien justifier , je pense ,
Un hymen qu'a formé l'amour.
Je ne sais pas ce qui tient en balance;
Mais aujourd'hui qu'il s'agit de l'honneur,
Dût Apollon en prendre de l'humeur,
En éclatant, je romprais le silence.
On essuierait quelques jours orageux;
Il ne faut pas s'en alarmer d'avance.
Tous ceux qu'on passe ici sont très-fâcheux,
Tant qu'ignorés des hommes et des dieux,
Nous végétons sans avoir d'existence.
Au fond des flots, sans espoir engloutis ,
Sans nom au ciel, sans honneurs sur la terre,
Même sans rang à la cour de Thétis,
Que nous savons être noire grand'mère;
Nous, nés du dieu qui donne la lumière,
Dans l'Océan passons des tristes jours :
Lorsqu'un bâtard , avoué par son père,
Impunément outrage notre frère,
Qui doit de nous attendre des secours ;
Le mieux serait que, sur-le-champ, ma mère,
En s'élevant aux célestes lambris,
Intéressât tout le ciel par ses cris ;
Qu'à Phaëton le dieu du jour confie
Tous les coursiers de sa noble écurie ^
Que son char éclatant, remis
Sous sa conduite , aille éclairer la terre ;
Après cela vienne le téméraire,
Qui soutiendra que nous devons le jour
Au simple effet d'un caprice d'amour.
Que si Climène obtient cette victoire,
Vous comprenez, mes Sœurs, quelle en sera la gloire,
Un frère, admis parmi les immortels,
Nous donne droit à de communs autels :
L'Océan jusqu'ici fut pour nous un asyle,
Que son sein désormais s'agite ou soit tranquille -,
Qui règne dans tout l'Univers,
Peut bien, à leur destin, abandonner les mers.
Ainsi pérorait Phaëtuse,
Et. sa chère sœur Lampétuse
Ainsi que Lampétie étaient du même avis.
On fait des plans , on croit qu'ils vont être suivis :
Il ne manquait plus à la scène
Que l'étourdi fils de Climène ;
Il arrive , pour son malheur.
Tout à la fois on aiguillonne
Le courroux qui dans lui bouillonne ,
L'orgueil qui lui gonfle le cœur.
On développe le système;
On fait plus , on lui fait son thème;
Il doit dire ceci, faire ensuite cela ;
Voyez notre mère; elle est là;
Elle s'afflige, se tourmente.
Priez, pressez, tenez ferme, surtout;
Intéressez l'orgueil : vous en viendrez à bout.
Nous restons ici dans l'attente:
Si vous avez besoin de nous,
Faites un signe, et nous sommes à vous.
Après ces beaux discours, Phaëton se présente;
Il a vaincu, dès le premier abord :
Le cœur de la déesse et le sien sont d'accord.
Le plus léger retour impatiente.
Que l'on attelle! holà, Triton!
Je m'en vais chez Thétis y chercher Apollon.
Elle arrive au palais brillante de ses charmes.
Vous connaissez déjà le fond du plaidoyer,
Et si vous avez vu la beauté fondre en larmes,
Ce sont là les moyens que l'on sut employer.
Réunissez ces deux puissantes armes :
Je ne vous dis pas demandez,
Tout doit être à vous : commandez.
Climène a tout gagné ; l'histoire est trop connue,
Pour que l'on doive ici la rapporter.
Le dieu du jour fit en plein la bévue ;
Il donne à Phaëlon son char à piloter
L'imprudent perd la tête, et se laisse emporter :
Tout près de nous il vient pirouetter ;
Mais la foudre perçant la nue,
Au fond de l'Éridan va le précipiter,
Sans quoi la terre était perdue.
Revenons sur nos pas ; considérons un peu
Tout le ciel en rumeur, la terre toute en feu ;
Jupiter empressé d'écarter le dommage
Des humains accablés de maux ;
Et demandons d'où vient tout ce tapage ?
D'un commérage,
Et d'un trio femelle, à cent pieds sous les eaux.