Code de lois pour les Loups Jacques Cazotte (1719 - 1792)

Un monstre, qu'en tremblant, l'enfer a déchaîné,
D autant qu'il doit un jour consommer sa ruine,
Qui va rongeant les os de son bras décharné,
Hâve, livide, affreux : en un mot, la famine,
Désolait un canton de ce pauvre univers,
Qu'assujettit le sort à tant d'autres revers.
Le Loup, de ce fléau ressentait de la joie,
Il lui livrait partout une facile proie :
Car, des victimes de la faim,
La mort a couvert le terrain.
Il se jette dessus : il dépèce, dévore :
Il va, rassasiant sa rage carnivore,
Son appétit glouton, tandis qu'il est en train ,
S'occupant peu du lendemain.
Ce jour-là vint : jour bien terrible
Pour qui n'a pas de magasin.
L'appétit est strident et l'âme est inflexible.;
On doit trembler pour le voisin :
Quel qu'il soit, fût-ce père ou mère;
Car la nature est étrangère *
A qui ne reconnaît que la loi du besoin.
J'abrège le tableau qui se présente à faire $
Il est dénaturé, barbare, sanguinaire;
Je le vois déjà trop, en le voyant de loin.
Les Loups contre les Loups!... insolents que nous sommes !
Sont-ce les chiens qui font la guerre aux hommes?...
.Mais, suivons nos bouchers. Chacun d'eux , à la fin ,
Dans son pareil voyant son assassin,
Pour très bonne raison l'évite,
Cherchant son salut dans la fuite.
Mais le mal cesse, on entend de nouveau
Le berger rassemblant son paisible troupeau,
Pour le conduire aux champs que couvre la pâture ;
Nos Loups, qui n'ont l'oreille dure,
Au premier bêlement qui vient y retentir,
A l'entour du bercail viennent se réunir.
On se voit d'un œil moins farouche
Qu'à l'heure où l'on s'était quitté.
Sile regard est toujours louche ,
La langue a quelqu'aménité.
On vient au point de s'entre-dire :
Mais quel démon nous porte à nous détruire ?
Ne saurait-on être meilleur,
Vivre entre soi comme des gens d'honneur ?
Ne fermons ni l'œil ni l'oreille,
A l'exemple, aux leçons qui nous viendraient d'autrui :
Nous en pourrions recevoir aujourd'hui
De très sensés en écoutant l'abeille.
Chacun nous traite de vaurien ,
Et d'elle on ne dit que du bien.
Députons vers t e peuple sage :
Il en est dans ce voisinage.
Il observe des lois : nous n'en connaissons pas:
U peut, nous en dictant, nous tirer d'embarras.
L'ambassade est déterminée
Sur-le-champ, d'un commun concert
La commission est donnée
De préférence au plus disert.
La branche d'olivier, qu'on lui voit à la bouche,
Le ton qu'il prend, n'ont rien dont s'effarouche
L'insecte utile et bourdonnant :
Tout annonce le suppliant :
Il peut s'approcher ; on l'écoute.
Eh quoi ! vous demandez des lois ?
Si des nôtres vous faites choix,
Vous en serez contents, sans doute;
Il suffira, pour les expédier,
D'une écorce de peuplier.
L'ambassadeur, plein de reconnaissance,
Part, et revient aux gens qui lui donnent créance,
Porteur du précieux rouleau
Qui contient le code nouveau:
On déploya l'écorce de la souche ;
Mais il a toujours été dit
Que lire un titre, écrit en pieds de mouche,
Est un travail pour le plus érudit.
Nos Loups ne le sont pas : aucun d'eux ne s'applique.
Il fallut, parmi les renards,
Aller chercher un maître ès-arts,
Lisant à livre ouvert, et profond politique.
Il prend séance, et lit. Item , « Première loi :
De dents ou d'aiguillons, doués par la nature,
Qu'on puisse s'en servir pour repousser l'injure,
Jamais pour inspirer l'effroi,
Et pour nuire, encor moins... Certain petit murmure
Annonça que ce point souffrirait des débats.
Le renard, un moment, suspendit sa lecture.
Mais il reprend : S'il survenait un cas,
Ou quelqu'un devenant parjure ,
Employât ses moyens pour se rendre oppresseur,
Qu'on désarme le transgresseur. »
Une mine se fil, telle qu'on eût pu croire
Qu'on entendait crier, échec à la mâchoire. »
On lit. Item : «Comme on sait que la paix
Ne règne que dans l'abondance,
Que la nature avare a fait très-peu de frais
Pour pouvoir aux besoins dont on sent l'exigence ;
Par un travail bien entendu,
Entre tous partagé, diligent, assidu,
Que chaque membre incessamment s'applique
A préparer des magasins fournis,
Où la nouvelle république
Trouve en tout temps ses besoins réunis.
A cet item, dont-la teneur le frappe
Au congrès, tout entier, la patience échappe.
Tous de crier : Notre travail
Est de tomber sur le bétail.
Puisque le sort aujourd'hui nous rassemble,
Le mieux sera que nous chassions ensemble.
Ces mouches n'ont ni rime ni raison,
Et n'entendent pas notre affaire.
Il n'en fut jamais de plus claire ;
Il nous faut un moyen d'avoir tout à foison,
Sans rien risquer et sans rien faire.
Ami Renard, retourne à ta maison,
Sain et sauf : c'est beaucoup, aussi c'est ton salaire.

Fable 43




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