Un Singe, un Chat, autant vaut dire
Félonie et méchanceté,
Conclurent entre eux un traité ,
Je ne sais quel an de l'hégire.
Un vieux renard, vrai Talleyrand,
Un peu boiteux pour plus de ressemblance,
Avait protocolé ce traité d'alliance.
Rien n’y manquait, si n'est la bonne foi pourtant;
Mais c’est assez en pareille occurrence
Bien vous pensez, ils ne faisaient état
De partager royaumes ou provinces,
Ce sont 1a concordats de princes
Et non pactes de singe et chat.
L'objet de convoitise était un pâté d'oie,
Bien entendu pâté de foie
Dont l'ampleur, le coup d'œil, le fumet savoureux
Chatouillait l'odorat, affriandait les yeux.
Le conquerre était chose ardue
Tant la garde était assidue.
Aussi se liguaient-ils pour en venir a bout,
Sous réserve in petto, survenant la victoire,
De se faire chacun de conquête et de gloire
Ample part, a défaut de s’adjuger le tout.
Sous le profit de leur fourbe secrète
Malgré verrou, œil du maitre et treillis,
L’énorme pâté fut conquis;
Mais comment la prise en fut faite,
Je n’en sais rien ; l'histoire est sur ce chef muette;
Mnémosyne parfois a de pareils oublis ;
Je me tais donc, narrateur trop fidèle
Pour prendre sur Vertot modèle
Et faire mon siège a plaisir.
Je passe outre et j'en viens au dénouement du drame.
Le pate pris il fallut le partir.
Ce fut alors tout autre gamme ;
Chacun voulut en avoir double lot.
Nos alliés se querellèrent
Et tôt
Griffes et dents a l'unisson jouèrent.
Au vacarme accourut le maitre du logis :
Les deux larrons sous le fouet détalèrent
Et le pâté fut reconquis.

Traités entre méchants sont rarement durables ;
Et c'est heureux ;
Car les méchants seraient trop redoutables
S'ils demeuraient unis entre eux.

Livre V, fable 6


Alger, 4 mars 1854.

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