L'Oiseleur et les deux Geais Frédéric Rouveroy (1771 - 1850)

Un oiseleur avait un geai fort beau,
Un jeune espiègle, un vrai godelureau,
Leste et gaillard, prêt à tout faire.
Comment il l'avait pris, il ne m'en souvient guère ;
Il suffit qu'un beau jour il encage l'oiseau,
Le porte au fond d'un bois, asile solitaire
Dont le peuple chanteur avait fait son séjour ;
Où maints geais braillaient tour à tour
Pour égayer sans doute une amante fidèle,
Qui, sur le même ton, soupirait son amour.
Notre homme cherche et trouve une place assez belle,
Ombragée à demi, fort propre à son projet ;
Vous prend son geai, le couche sur la terre
Les pieds en haut, puis d'un double crochet,
Pour l'empêcher de se tirer d'affaire,
Contient chaque aile, et sans autre façon,
Fixe sur le gazon,
La bête scélérate.
Notre gaillard étendu sur le dos,
Jouait parfois du bec et de la pate,
Des ailes point ; il était peu dispos
Pour s'envoler et laisser là son homme "
Qui, bien couché sous un épais buisson,
A vingt pas de l'oiseau paraissait faire un somme ;
Mais il ne dormait point, et pour bonne raison.
Épiant le moment utile,
Notre oiseleur se tenait fort tranquille ;
Les yeux fixés sur son appeau,
Qui, comme on croit, faisait triste figure.
Un geai paraît, et soudain notre oiseau
L'appelle en s'éreintant pour changer de posture.
Fort étonné d'où part ce cri perçant
L'autre s'approche et le voit se débattre,
Gesticulant et grimaçant,
Puis comme lui se met à crier comme quatre,
Et ses compagnons d'accourir,
De chamailler, Dieu sait la vie !
Soit pour le consoler, soit pour se divertir,
Je ne sais trop quelle était leur envie.
Un d'eux pourtant crut reconnaître enfin
Le jouvenceau, c'était un sien cousin,
Ou tout au moins quelqu'un du parentage.
Celui- ci de l'appeau s'approchait davantage,
Pour l'aider à se détacher.
Tout à coup notre personnage
Dans le même dessein se mit à l'accrocher.
Il n'eut garde de le lâcher,
Espérant se tirer de ce péril extrême.
Il redoublait d'efforts, mais dans le moment même
Arrive l'oiseleur. « Vous venez à propos,
Dit le cousin, pour me rendre un service ;
Voyant ce malheureux renversé sur le dos,
Sans soupçonner son indigne artifice,
Et pour le secourir... » « - Vraiment ! dit l'oiseleur,
En le débarrassant du bec et de la pate >
Cette conduite est bien ingrate ;
Et moi j'arrive par bonheur ?..
Mais parlons mieux, cessons de feindre.
Celui-ci t'embrassait pour se tirer de là,
Sans te vouloir de mal, ainsi pourquoi t'en plaindre ?
C'est de moi seul que tu devais tout craindre,
Car, me doutant du tour, je l'y mis pour cela.
Or maintenant que te voilà,
Tourne-toi bien comme ton camarade,
Tes amis viendront te revoir.
Ne manque point surtout ta première accolade,
Et, comme celui-ci, fais fort bien ton devoir ;
Tous trois par ce moyen nous remplirons le nôtre. »

Pour se tirer d'un mauvais pas,
Tel fait tout ; tel aussi, sans sortir d'embarras,
Finit souvent par engluer quelque autre.
De ce fait-là j'ai maints témoins,
On voit de plus par cette fable
Qu'on est souvent le plus coupable
Lorsqu'on paraît l'être le moins.

Livre I, fable 19




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