Mets toujours à ton arc plutôt deux cordes qu'une ;
Mets-en une troisième et ce sera le mieux ;
Car elles pourraient bien te manquer toutes deux.
Par un beau soir, au clair de lune,
Sur les bords d'un étang, deux rats se promenaient
Et discouraient
Des différents moyens de tenter la fortune.
Bientôt la conversation
Tomba sur la science. » Oh ! dit le compagnon
Le savoir est un bien, la preuve en est si claire
Qu'il n'est besoin de l'appuyer.
N'est-ce pas ton avis compère ? »
Non, dit l'autre, il ne faut apprendre qu'un métier,
C'est sottise que la science ;
Et croyez-moi, rien n'est plus dangereux :
Il vaut bien mieux une douce ignorance ;
Moins nous savons, plus nous sommes heureux.
J'en ai pour garant certain sage... »
Monsieur le raisonneur en eût dit davantage
S'il n'avait pas fait un faux pas
Qui l'envoya de haut en bas
Tomber au fond de l'eau. Force lui fut d'en boire ;
Mais il n'en but pas seul, comme on pourrait le croire,
Car, l'équilibre lui manquant,
Il avait entraîné son ami dans sa chute.
De compagnie ayant fait la culbute,
De compagnie on but d'autant,
Quoique ce ne fût pas le point le plus pressant ;
Nos deux gaillards avaient toute autre envie.
Mais quand ce vint à sortir du danger,
Ce ne fut plus de compagnie,
Monsieur le raisonneur ne savait pas nager ;
Jamais il ne voulut l'apprendre.
L'autre en savait assez pour se tirer de là.
Il fit si bien que le voilà
Sur le rivage, et force fut d'attendre
Que le compagnon vînt. Le pauvre diable hélas,
Prêt à disparaître sous l'onde,
Quoiqu'il fit de son mieux, s'en allait de ce pas
Raconter son malheur aux rats de l'autre monde.
>> Sauvons-le, dit l'ami ; si dans le même cas
Je me trouvais jamais, eh ! ne voudrais-je pas
Que l'on me rendit la pareille ? »>
Il nage, arrive à tems, le saisit par l'oreille,
Et doucement l'amène à bord
A demi-mort.
» Eh bien, dit-il, mon camarade,
Ne faudra-t-il toujours apprendre qu'un métier ?..
De bonne foi, pauvre écolier,
Si tu savais nager, serais-tu si malade ? »