Dans cette langue dont Ésope
Ou si vous l'aimez mieux, Lokman
Se fit le premier Trucheman
En Asie, et Phèdre en Europe,
Un vieux Rat à ses deux enfants
Disait écoutez, jeunes gens :
De l'ennemi qui nous assiège,
Qui chaque jour nous tend un piège,
Retenez bien quels sont les traits,
Pour ne pas tomber dans ses rets.
Qui dit Chat, dit un monstre horrible.
Son œil ardent lance des feux :
Aiguisant sa grifse terrible,
Il pousse des cris furieux.
On voit de sa gueule écumante,
Toujours de carnage fumante,
Le sang ruisseler à grands flots ;
Et ses deux actives mâchoires
Ne donnent jamais de repos
A ses dents tranchantes et noires.
Tel est le Chat ; mes chers enfants,
Que Dieu vous sauve de ses dents !
Le sermon fini, nos deux frères
S'en vont furetant, grignottant,
Du Chat aussi se rappelant
Par fois les traits patibulaires
Et le hideux signalement.
Un jour que sur certain fromage
De Gruyère ou de Sassenage,
Ils s'exerçaient, à quelques pas,
Le plus doux, le plus beau des Chats
Vint jouer avec gentillesse
Et répéter maint tour d'adresse ;
Deçà, delà, sauter, courir
Après sa queue, et s'arrondir
En voûte, et ramper ventre à terre,
Et gravement sur son derrière
S'asseoir, et pour dernier jouet
Rondement tourner son rouet.
Ravis, éblouis, en silence
Nos Gourmands le suivaient des yeux.
L'un dit à l'autre en confidence :
Mon Dieu ! l'aimable connaissance
A faire ! Quel esprit joyeux !
Le joli poil gris et soyeux !
Quel œil doux ! quelle différence
D'un voisin tel que celui-là
Ace Chat toujours en furie,
Toujours menaçant notre vie,
Qu'a si bien signalé Papa !
Il parlait encor, quand le drôle,
Las enfin de jouer son rôle
De Boufson et de Bâteleur,
Reprend son rôle de Voleur
Et d'Assassin ; sur eux s'élance,
Rit d'avoir trompé leur enfance
Et les dévore avec fureur.
Voulez-vous des piéges du Vice
Défendre un cœur simple et novice ?
Ne chargez point tant vos portraits.
Le Vice n'a que trop d'attraits :
Bien mieux que la Vertu sauvage,
Du vase il emmielle les bords ;
Et dans le premier feu de l'âge,
Souvent nos malheurs et nos torts
Sont la faute de nos Mentors.