O que de biens l'homme désire !
Donnez-lui des trésors, joignez-y cent palais ;
Puis des terres, puis un empire ;
Il formera d'autres souhaits,
Et voudra commander à tout ce qui respire.
Pauvre sot ! penses-tu que ces biens après tout
Te rendront plus heureux ? Un trésor embarrasse,
La grandeur importune et son fardeau nous lasse.
Les plaisirs même ont leur dégoût.
Sachons borner nos vœux ; la fortune est fragile ;
Et c'est en perdant le repos
Qu'on obtient ses faveurs. Horace, à ce propos,
Conte que dans son trou, modeste et pauvre asile,
Jadis le Rat des champs reçut le Rat de ville.
C'était un vieil ami qui fêtait son ami,
Ménager de son bien, et du faste ennemi ;
Cependant notre sage ermite,
Quand un voisin venait de fortune en son gîte,
Déridait son visage, et se mettait en frais.
A son garde-manger il court en diligence ;
Dans son museau rapporte après
Quelques grains de froment, trésor de l'indigence,
Des pois que le galant réservait pour sa part,
Des débris de fruits secs et des restes de lard
Qu'il avait rangés par avance.
L'autre du bout des dents tâtait de chaque plat,
Et faisait en mangeant la mine.
Pour flatter le palais du mondain délicat,
L'amphitryon des champs variait sa cuisine.
Étendu sur la paille, il se met à gruger
Quelque lentille misérable,
Tandis qu'il réservait au superbe étranger
Les meilleurs morceaux de la table.
Enfin le citadin lui dit :
— Que fais-tu dans les bois ? n'es-tu pas las de vivre
Dans le trou d'un rocher ? Quitte ce méchant nid.
Che2 les humains veux-tu me suivre ?
Tu jouiras d'un meilleur sort.
Crois-moi, la vie est courte ; et les Rats, camarade,
Sont tributaires de la mort.
Ce peu de mots le persuade.
Voilà l'imprudent campagnard
Qui saute de plaisir, ferme sa case et part»
Le couple voyageur gagne aussitôt la ville,
Sous les murs se coule sans bruit ;
Puis à la faveur de la nuit,
On entre en un palais, somptueux domicile,
Où partout l'or éclate et l'ivoire reluit,
Dans un coin, les débris du souper de la veille
Chargeaient mainte et mainte corbeille.
L'orgueilleux citadin fait asseoir le manant
Sur une pourpre magnifique ;
Se retrousse, va, vient, sert les mets au rustique
Qu'en Rat de cour il goûte avant.
Le rustre s'émerveille ; il se fait déjà fête ;
Se croit le plus heureux des Rats,
Quand un double battant qui s'ouvre avec fracas
S'en vient troubler leur tête-à-tête.
Nos Rats aussitôt de courir,
De trotter par la salle. À la hâte ils s'échappent,
Tout éperdus, prêts à mourir
Au bruit retentissant de vingt dogues qui jappent.
— Mon ami, dit le villageois,
Je pars, adieu, Ce train ne me plaît guère,
Retourne à tes festins ; dans mon trou solitaire,
Moi, je vais grignoter mes pois.