Le jeune Lion et le Tigre Claude-Joseph Dorat (1734 - 1780)

Le Fils d'un vieux Lion commençait à grandir ;
Il était l'espoir des Provinces.
Mais, qui l'élèvera dans le grand art des Princes ?
Le père y rêve et songe à se munir
D'un Gouverneur par excellence.
Tous les courtisans d'accourir ;
Car la place est de conséquence.
C'est à qui sera le Mentor
De ce rugissant Télémaque.
Un peu moins délié que le feu Roi d'Ithaque,
L'Ours est chassé comme un butor.
Un Eléphant hérissé de science,
Prudent, industrieux, surtout plein de raison,
Pour former le jeune Lion,
Se propose sans arrogance.
Il est fort sage, disait-on,
Mais il manque un peu d'élégance.
Paraît un coursier généreux,
Nourri dans les plaines d'Elide,
Fameux par son courage et sa course rapide ;
Mais il est noble et fier... on le croît dangereux.

Affectant un maintien plus décent que rigide,
Un Tigre Moraliste, ou du moins soi-disant
Trompe sa Majesté par un ton séduisant,
Et l'accent mesuré d'un langage perfide.
Sous un habit si velouté
Il doit loger un cœur timide,
Dit une Léoparde, au regard effronté,
Ainsi que la Panthère avide,
Folle d'un amant moucheté.
D'ailleurs, il plaît à la Lionne.
Jeune et coquette encor, son cœur s'est enflammé.
Un juge l'air bien plus que la personne :
Le Tigre a pris un masque et le Tigre est nommé.

PAUVRES sujets, que naîtra-t-il d'utile
D'un pareil choix ? un Tigre éduquer un Lion !...

Tout ce qu'on peut en attendre de bon,
C'est que l'Instituteur étrangle son pupille.

Livre III, fable 2




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