Kia donnait des lois au Peuple antique et sage,
Qui vit naître Confucius ;
La douce aménité brillait sur son visage ;
Et le Dieu des Chinois, dirigeant son jeune âge,
Dans l'âme du Monarque avait mis des vertus.
Le luxe altéra tout : flatté dans ses faiblesses,
Il devint le jouet des femmes qu'il aima,
Et d'un profane encens lui-même il parfuma
Les Temples somptueux, bâtis pour ses maîtresses.
Théone le perdit, en captivant son cœur.
Elle était exigeante, ambitieuse et vaine ;
Mais ses grands yeux mourans promettaient le bonheur :
Avec tant d'éloquence ils exprimaient sa peine,
Que l'on accordait tout à leur tendre langueur.
Esclave idolâtrée, elle fut bientôt Reine ;
Et l'on vit, de ce jour, s'endormir l'Empereur
Au sein voluptueux de sa belle Sirène,
Lui versant, à longs traits, le nectar de l'erreur,
Théone commandait : le ciel, la terre et l'onde
Soudain fournissaient leurs tributs ;
La plus stérile arène, on la rendait féconde ;
Des jardins s'élevaient, dans les airs suspendus
Les fleuves entre ouvraient des chemins inconnus ;
Un désir de Théone eut fait éclore un monde.
Un jour, sur des carreaux d'émeraudes semés,
La gorge nue et les yeux enflammés,
Se cachant dans les bras du Prince qui l'adore
Et qui brûle d'un feu qu'elle réchauffe encore ;
Ah ! dit-elle, si vous m'aimez,
Ne me refusez pas la grâce que j'implore.
La vie est si rapide, hélas !
Faut-il que les nuits les plus sombres
Viennent abréger par leurs ombres
Des jours trop voisins du trépas ?
A quoi bon cette alternative
De splendeur et d'obscurité ?
Habitons un Palais où règne une clarté
Aussi belle et moins fugitive.
Ce Globe qui par lui borné dans sa carrière,
Tantôt brillant et tantôt éclipsé,
Nous ôte et nous rend la lumière.
Que ne pourrons-nous point, inspirés par l'amour ?
Ce Palais est magique et j'y désire encore.
Cher Prince, éternisons le jour,
Et n'ayons plus besoin du retour de l'aurore.
Place, place, dans ton Palais
Des Astres que tes lois maintiennent,
Des Soleils qui nous appartiennent,
Et ne s'obscurcissent jamais.
Les feux du Firmament, dans leur course féconde,
Luiront sur le reste du monde :
Nous aurons, a nous seuls, des orbes radieux,
Témoins de notre paix profonde.
Soyons tout, l'un à l'autre et passons-nous des Dieux.
Presse-moi sur ton cœur, viens, ressens mon ivresse,
Vois palpiter mon sein, brûlant de volupté ;
Par l'excès du bonheur ajoute à ma tendresse,
Et quand le sort jaloux de ma félicité
Rompra de tes. beaux jours la trame enchanteresse,
Nous volerons ensemble à l'immortalité.

Le crédule Empereur, séduit par cette image,
Dans ce plan si hardi ne voit bientôt qu'un jeu ;
De la Nature il croit être le Dieu,
Et, certain du succès, il ordonne l'ouvrage :
Tout un peuple est en mouvement.
Un superbe Palais s'élève ;
L'éclat de l'or s'y mêle au feu du diamant ;
A grands frais commencé, c'est le goût qui l'achève.
Les rayons du soleil n'y peuvent pénétrer :
Remplis de liqueurs inflammables
Que l'art d'Hermès sut préparer,
De toutes parts des Globes innombrables
Sont les astres nouveaux qui le vont éclairer.
En demi-jours charmants la lumière est brisée ;
Des guirlandes de fleurs parfument les lambris,
Et d'humides vapeurs, dans les airs rafraîchis,
Tombent d'un autre Ciel, comme une autre rosée.

Au milieu des concerts, des danses, des festins,
Les deux amans sont entrés dans leur Temple :
A genoux leur cour les contemple ;
Et les Immortels même enivraient leurs destins.
Ils se plongent dans la mollesse,
Dans l'abus des plaisirs, payés par leurs sujets ;
Et cet Olympe, où l'or ne doit tarir jamais,
De tout l'Empire engloutit la richesse.

La Nation jette un cri de douleur.
Un Ennemi voisin l'entend, s'arme, s'avance ;
Il triomphe et le peuple abat avec fureur,
Le monument du luxe et de l'extravagance.
Le malheureux Kia se voit abandonné :
Dans la misère et dans l'ignominie
Il traîne, avec horreur, les restes de sa vie...
Et ce Dieu d'un instant, mourut infortuné.

Livre III, fable 1




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