Une Veuve, déjà sur l'âge...
(C'est une veuve de Village ;
Il importe, ou n'importe pas,
Le voilà dit, sans trop de verbiage ;
Revenons vite sur nos pas).
Quoique bien loin de son aurore,
Cette veuve aspirait encore
A se donner quelques beaux jours :
Eh ! le moyen, sans les amours ?
Vieille Cibéle, ou jeune Flore,
C'est à ces fripons-là que l'on revient toujours.
Un beau Garçon, d'une heureuse encolure,
Convenait fort à Madame Germain.
L'Héroïne de l'aventure
S'appelle ainsi, l'autre a nom Mathurin,
Très-pauvre en fonds de terre et très-riche en figure.
Notre folle nourrit son désir in petto,
Convoite et brûle incognito,
De peur d'exciter le murmure.
Il fallut cependant éventer son projet,
En faire part à sa commere,
Matoise, s'il en fut ! bonne pour un secret,
Et très-propre à conduire un amoureux mystère.
Comment, lui dit-elle, un matin,
Trouves-tu le gros Mathurin,
Le fils de Perrette et de Pierre ?
Je t'avouerai, qu'il est fort à mon gré ;
Et sans les langues maldisantes,
Les sots propos et les chansons courantes,
J'en dirais deux mots au Curé.

Bon, commère ! à cela ne tienne,
Lui dit l'autre ; mariez-vous :
C'est votre fantaisie ; on a chacun la sienne,
Ce n'est pas trop ; contentons-nous :
Puis après, que l'ennemi vienne.
Sans doute on te chansonnera ;
A tes dépens le village rira.
Tarare : en un moment tout peut changer de face.
Un rien éteint ces rumeurs-là.
Que dis-je ? si tu veux, cet âne que voilà,
Fera taire la populace. –
Cet âne ? – Eh ! oui, cet âne ; allons, j'ai mon dessein ;
Et tu seras Mathurine demain.
Bien volontiers. – La veuve est opulente ;
Ses cinquante ans, dès-lors, n'en paraissent que trente,
Et Mathurin se vend de très-grand cœur.
Il croit bêtement qu'une rente
Est l'équivalent du bonheur.
Ils s'épousent. Dans le village
Vous jugez quel charivari !
Les chiens, qu'excite le tapage ;
Sautent aux poches du mari ;
Les plaisants fondent par nuées,
On n'entend que malins couplets ;
La Doyenne des Mariées
Avec de vieux atours et de plus vieux attraits,
Est reconduite, à travers les huées,
Les brouhahas et le bruit des sifflets.

Du logis, tout-à-coup, un âne vert s'élance ;
C'est l'âne en question ; pendant tout le caquet,
L'autre commère, avec intelligence,
L'avait fait peindre en Perroquet.
Nos francs badauds de crier au prodige,
D'escorter le baudet comme un triomphateur :
Un âne vert ! n'est-ce point un prestige ?
Mais, peut-être, est-ce à l'art qu'il doit cette couleur ?
Non, dit un autre, je vous jure
Que c'est un jeu de la nature.
Si l'on veut, je vais parier –
DE quel pays est-il ? – du Cap, dit un Barbier
(Le bel Esprit, l'Orateur du village,
Contant toujours quelqu'étonnant voyage)
Et du Cap-Vert, encor ; croyez-m'en, sur ma foi.
Je me connais en ânes, moi.

HÉLAS ! s'écriait une vieille
Toute la nuit, je l'ai songé :
Oui, riez, je vous le conseille :
Quand l'Eternel est outragé,
Exaltez bien votre merveille.
Je me rappelle que jadis,
D'un amas antique de planches
On vit sortir des souris blanches,
Qui trottèrent sous le parvis :
Eh bien ! de cet affreux présage
S'ensuivit la mortalité :
Mon père, alors fut emporté ;
Et ma tante plia bagage.
Depuis que ces chats gris, qu'on appelle Chartreux,
S'impatronisent dans nos villes,
Tout y va, comme il plaît aux Cieux.
Les hommes sont dormeurs et les femmes stériles ;
A trente ans, on est déjà vieux.
Plus de moissons, le ciel maudit la Terre.
Des chats chartreux ! n'est-ce point une horreur ?
Le moyen qu'on n'ait pas la guerre ?
Puis, on revient à l'âne ; on parle, on délibère ;
C'est un Prophète de malheur,
Qu'il faut jeter dans la rivière –
Il fait, un jour entier, la publique rumeur.
Le lendemain, c'est autre chose :
Un Charlatan, bien fourbe et bien payé,
Montre un singe couleur de rose ;
Et l'âne vert est oublié.

O Muse indiscrète et volage,
Par accident nous serions-nous mépris ?
Aurois-je désigné Paris,
En peignant les fous d'un village ?

Livre III, fable 8




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