« Maudit soit le destin ! disait avec humeur
L'Ane an Mouton : n'ai-je pas du malheur,
Vêtu comme je suis, de rester dans la rue,
Au milieu de l'hiver, faisant le pied de grue,
Lorsque mon maître, assis près d'un bon feu,
Se réchauffe, et de moi s'inquiète fort peu !
Toi, favori de la nature,
Muni d'une épaisse fourrure,
Tu braves les fureurs des fiers enfants du Nord...! »
— Ah ! repart le Mouton, que tu le plains à tort!
Ta misère à la mienne est-elle comparable ?
On m'arrache de mon étable
Pour me traîner vers le boucher.
Tourne les yeux; le vois-lu s'approcher,
L'air menaçant, la main tendue ?
Vois-lu la hache suspendue ?
Qu'importe ma toison , quand on va m'écorcher ?
Loin d'assaillir les dieux d'une plainte importune,
Ami, vends plutôt grâce à ta bonne fortune....! »
L'homme n'est pas plus sage ; et je pense en effet
Qu'il ressemble beaucoup à l'injuste baudet.
On dirait qu'en ce monde il ne voit que lui-même;
Le Moi de l'égoïsme est son objet suprême ;
Les maux que le sort lui départ
Sont toujours les plus grands et les plus déplorables,
Il eu a la plus lourde part;
Le sort a pour lui seul des rigueurs détestables
Eh ! mon ami, regarde autour de toi :
Combien d'infortunés sur la machine ronde !
Et pourtant, il n'est pas si misérable au monde
Qui ne puisse trouver plus malheureux que soi.
Ah ! combien j'aime l'Optimiste!
Le destin l'accable; il résiste :
Je n'ai qu'un bras cassé, dit-il, c'est bien heureux,
Car enfin je pouvais me les casser tous deux...