Les deux Ruisseaux Claude-Joseph Dorat (1734 - 1780)

UN Ruisseau, devenu torrent,
A chaque pas enflé dans sa course rapide,
Et dédaignant le lieu de sa source timide,
Vers les gouffres amers courait en murmurant.

Au creux d'un vallon solitaire,
Il rencontre un autre Ruisseau,
Promenant l'onde la plus claire,
Sous des saules unis qui furent son berceau,
Et sur les fleurs qu'il désaltère.
Pour caresser la plaine, il divise son cours ;
Dans ces lieux enchantés cent fois il se replie :
Il y forme, en jouant, d'innombrables détours,
S'éloigne, reparaît, brille, se multiplie...
Je le crois bien ; eh ! peut-on, dans sa vie,
Embrasser trop souvent l'objet de ses amours ;

RANGE-TOI donc, lui dit son confrère superbe,
Que fais-tu là sur mon chemin,
Toi, petit filet d'eau, qui sourdis sans dessein,
Bon, tout au plus, à figurer sous l'herbe ?
Avec tes mille tours, réponds, quel est ton but ?
Pour moi, je suis un Ruisseau de fortune,
Et je cours porter mon tribut
Au vaste Empire de Neptune.

Bon Dieu ! passez, Monsieur le Courtisan,
Votre Grandeur ne me fait point envie ;
Vers la mer prenez votre élan :
Moi, j'aime mieux, telle est ma fantaisie,
Etre adoré d'une prairie,
Que méprisé par l'Océan.

Livre III, fable 7




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