Le Paon était surpris de voir
Qu'une Grue avec lui se mît en parallèle ;
Et la Grue, à son tour, ne pouvait concevoir
Qu'un Paon se crût au-dessus d'elle.
Dans la chaleur de la querelle,
Tous deux se prodiguaient des mots injurieux ;
Puis tous deux, enivrés d'eux-mêmes,
Exagéraient, à qui mieux mieux,
L'étalage victorieux
De leurs avantages suprêmes :
Car à l'orgueil d'autrui l'on croit faire la loi,
En donnant dans les deux extrêmes
Du mal qu'on dit de lui, du bien qu'on dit de soi.
Le Paon montrait d'abord une aigrette brillante,
Un collier bleu-céleste, un plumage or et vert :
Il déployait surtout sa queue étincelante,
Eventail d'étailes couvert ;
Puis, d'une voix ingrate, il disait à la Grue :
« Mais considère donc ces reflets radieux
Que j'offre en tous sens à la vue !
Sais-tu que la Reine des Dieux
D'Argus m'attacha les cent yeux ?
Que dis-je ? elle broya des pierres précieuses
Pour en composer mes couleurs :
Quelles beautés, ou quelles fleurs,
Même les plus ambitieuses,
Oseraient m'opposer les leurs ?
Je te conseille de prétendre
À la moindre comparaison,
En montrant tes ailes d'oison
D'une triste couleur de cendre ! »
La Grue, à ce propos d'un orgueil exalté,
Répond ingénument : « Superbe est ton plumage ;
« Plus superbe est ta queue ; et, sans dissiculté,
A cet éclat je rends hommage :
« Mais, par ce même éclat de toi si fort loué,
À la terre, beau Paon, tu demeures cloué.
Dans une basse-cour tu peux faire la roue :
Qu'est-ce à dire, en un mot ? c'est briller dans la boue.
C'est charmer les dindons, seuls dignes d'être admis
Au rang, très peu flatteur, des oiseaux tes amis.
Pavane-toi donc bien dans ce cercle d'élite !
Pour moi, libre, et cosmopolite,
Je te laisse, j'échappe à tes débiles
Avec ces ailes que condamne yeux
Ta critique vaine et profane ;
Élevant dans les airs mon vol audacieux,
Quand tu rampes, sur toi je plane,
Et loin, bien loin de toi, je me perds dans les cieux,
L'automne va s'enfuir ; je n'en suis point émue ;
J'irai le retrouver en de lointains climats.
Pour toi, va te cacher, tout honteux de ta mue
Qui te dépouille juste au milieu des frimas !
Que je prends en pitié ta carrière bornée,
Quand du globe, à mon gré, je fais ainsi le tour ;
Appelée à jouir, dans une même année,
D'une double saison de bonheur et d'amour ! »
Ainsi tout se compense. En rabaissant la Grue,
La vanité du Paon ne doit pas être crue ;
Ou la Grue, à son tour, connaissant mieux son prix,
Rend au Paon dédaigneux de plus justes mépris.
Ô qui que vous soyez, de quoi que ce puisse être
Que vous ayez à vous flatter !
Voyez ce qui vous manque avant de vous vanter.
Nul n'a tout : en tout genre on peut trouver sonmaître ;
Et quiconque sait se connaître,
Avec l'orgueil d'autrui renonce à contester ;
Mais la morale court les rues
Sans qu'on l'écoute : hélas ! faut-il donc voir toujours,
Et parmi les humains, et dans les basses- cours,
Disputer les Paons et les Grues ?