Vous avez beau, pauvres censeurs,
Clabauder et vous mettre en quatre
Pour signaler et pour combattre
Des faibles mortels les erreurs,
Boileau, Molière et La Fontaine
N'ont-ils pas perdu leur peine ?
En vain dans leurs brillants tableaux
Ils ont tracé de main de maître
De notre espèce les défauts,
Voulant, en les faisant connaître,
Nous apprendre à les éviter.
D'après notre manière d'être,
Nous ne pouvons en profiter.
Aucuns défauts ne sont les nôtres,
L'orgueil nous le dit tous les jours ;
Nous croyons que c'est pour les autres
Qu'ils ont écrit leurs beaux discours..
Nous nous aimons d'amour si tendre,
Que nous ne voulons rien comprendre
Qui puisse nous désobliger ;
Et l'on a grand tort de prétendre
Que l'on pourra nous corriger.
À l'appui de ce préambule,
Mon esprit me rappelle un fait
Tout aussi vrai que ridicule,
Qui peint l'avare trait pour trait.
Un vieux richard, un pince-maille,
Un véritable rien qui vaille,
Assistait un jour au sermon.
Le moraliste, avec raison,
Blâmait d'un ton de véhémence
Celui qui de la bienfaisance
N'a jamais connu la douceur,
Et qui toujours ferma son cœur
A cette vertu salutaire
Qui, soulageant dans la misère
La malheureuse humanité,
Rend l'homme si recommandable,
Et fait de l'être charitable
L'égal de la divinité.
Pénétré de son éloquence,
Chacun louait un tel sermon.
Un voisin de maître Gripon
Lui demande ce qu'il en pense.
C'est, repart-il, un orateur
Qui connaît le chemin du cœur.
Avec raison chacun le prône ;
Il traite si bien son sujet,
Que qui l'entend a du regret
De ne pas se voir à l'aumône.
Cet homme, de sa dureté
Bien loin de se faire un reproche,
Voyait la chose du côté
Qui ne touchait pas à sa poche.
Songeant toujours à recevoir,
Comment aurait-il pu comprendre
Qu'étant fort riche, son devoir
Exigeait de lui de répandre
Les secours que devait attendre
Le malheureux au désespoir.