L'Avare et le Pont Jean-Baptiste Brossard (1820 - 18?)

Disciple d'Harpagon,
Un ladre, assez huppé, dit-on,
Pour un pressant besoin s'était mis en voyage :
Chevauchant sur ses pieds, un bâton à la main,
Le rustre avait pour tout bagage,
Dans le fond d'un vieux sac, un lourd quartier de pain
Accompagné d'un morceau de fromage.
Ainsi donc équipé, quand notre homme avait faim,
Il s'asseyait, sans gène,
Au bord d'une fontaine ;
Et là, tranquillement mangeant, buvant son soûl,
Il durait à son gré, sans dépenser un sou.
Après un court repos, frais et plein de courage,
Le sire sans façon, reprenait son voyage ;
Ainsi, cheminant donc, et par monts et par vaux,
A travers des pays inconnus et nouveaux,
À ses yeux étonnés offrant ample carrière,
Il se trouve bientôt devant une rivière,
Dont l'eau claire et limpide, ainsi qu'un pur cristal,
Et par-dessus très-vive,
Laissait voir de très-près le fond de son canal.
Un pont menait à l'autre rive ;
Mais, pour le traverser, il en coûtait un sou ;
Un sou, ma foi, ce n'est pas le Pérou ;
Pourtant notre homme,
Ne pouvant se résoudre à donner cette somme,
Méditait, regardait pour trouver le moyen,
De traverser sans qu'il en coûtât rien,
Lorsque s'apercevant que l'onde
N'était guère profonde,
Il crut, sans danger, à son gré,
Pouvoir passer à gué,
Vu la douceur de la température :
Le voilà donc dans l'eau jusques à ]a ceinture
Et contre le courant luttant ni peu ni prou,
Quand tout-à-coup il tombe dans un trou,
Disparaît et se noie ;
Et tous ses héritiers de pleurer… mais de joie !
Pour économiser sur un clou de cheval,
On perd le plus souvent le fer et l'animal.





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