Certain avare un beau jour fut volé,
Imaginez les pleurs, la doléance :
Il est choisi plutôt d’être empalé ;
Mais il n’avait le choix en sa puissance,
Dont bien lui prit. Il reçut assistance
D’un sien ami ; car il en avait un.
Chez Harpagon ce meuble est chose rare ;
Chez l'honnête homme il n'est pas trop commun.
Par son ami l'heureux avare
Fut hébergé, nourri, vêtu,
Sans qu’il lui manquât un fétu.
Désirait-il bijoux ou broderie ?
Tout aussitôt, comme par diablerie,
Il en avait à bouche que veux-tu.
Le noir chagrin qui l'avait abattu
Se-dissipas. Comment est-il tenu
A tant de biens ? Notre juif plus traitable
Connut alors ce qu’il n’avait connu
Le monde lui parut aimable :
La dépense lui plut, le spectacle, la table ;
Enfin le voila devenu
Un galant homme, un homme sociable,
Et le bonheur lui donna la vertu.
Au bout d’un an, dans cette âme nouvelle
Vint un remords qui n’était déplacé :
Ami, dit-il, tu dois être lassé
De tes bienfaits ; la charge devient telle
Que ton trésor en est par trop baissé ;
Règle tes dons, retiens ton zèle :
Je serai plus content, tu seras plus sensé.
L’autre répond : Ne sois embarrassé
De tout cela; je n’en crains nul dommage. .
Dépense, ami, sans honte; c’est ton bien.
Comment! mon bien ! Oui, l’ami, c'est le tien;
Ton propre bien, sans procès ni partage.
Cher ami, je suis le voleur
De ce trésor qui faisait ton malheur;
Je l’ai placé, je t'en donne l’usage:
Jouis-en donne et dors en paix,
Tu ne l’épuiseras jamais.
Du revenu, dans cette année entière,
Tu n’as mangé qu’un tiers bien calculé :
Quand tu l’avais dans ta cave empilé,
Il te Faisait bien misérable chère ;
Il t'eût pourtant dés lors bien régalé.
Apprend de là que la métamorphose
De malheureux en homme fortuné
Ne tient souvent qu’à peu de chose.
Chacun de nous sans doute est né
Ayant en soi la suffisante dose
D'ingrédients pour former le bonheur ;
Mais il s'agit de les mettre en valeur.

Livre I, fable 9




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