Les étrennes d'un Avare Léon-Louis Buron (1810 - 1895)

Le temps était brumeux, sombre comme un tombeau,
Et pourtant, ce jour-là, Paris s’était fait beau ;
Le riche magasin avait montre brillante,
La plus petite échoppe était propre et pimpante ;
Depuis le grand seigneur jusqu’à l’humble soubrette,
Tout le monde avait mis sa plus belle toilette.
Ah ! c’est que ce jour-là c’était le jour de l’an,
Et ce jour, comme on sait, ne vient qu’une fois l’an,
Jour que respectent même et les rois et les reines,
Où plus qu’on n’en reçoit on donne des étrennes ;
Jour fatigant pour tous, mais aimé des enfants.
Quel plaisir de les voir joyeux et triomphants,
Les traits épanouis, les mains toutes chargées
De livres, de jouets, de bonbons, de dragées !
Pour l’enfant, ce jour-là, montrons-nous généreux :
Est-il plus grand bonheur que de faire un heureux !
Donc, un petit garçon allait avec sa mère
Offrir en ce beau jour ses vœux à son grand-père.
En route il repassait son petit compliment,
Qu’il avait de sa main écrit fort gentiment ;
Non pas qu’il espérât rien de beau, rien de rare :
Que pouvait un enfant attendre d’un avare ?
Mais sa mère voulait, et c’était son devoir,
Qu’il aimât pour aimer, et non pour recevoir.
Ils arrivent enfin : comme bien on le pense,
La maison n’offrait pas une riche apparence ;
Qui pour son terme veut n’avoir guère à payer,
Ne doit point sur son dos mettre un trop lourd loyer,
Et quoiqu’il possédât vingt mille francs de rente,
Notre Harpagon était fort dur à la détente.
Aussi sa froide chambre, où tout sentait le vieux,
Etait fort loin du sol et regardait les cieux.
La bise en vain soufflait : de l’argent idolâtre,
L’insensé n’avait point fait de feu dans son âtre ;
Mais défiant l’hiver, par ce froid, sur un gueux,
Il se chauffait les doigts comme le font les gueux.
Pourtant, comme il aimait de son mieux sa famille,
Ce fut avec plaisir qu’il accueillit sa fille :
— Soyez les bienvenus, dit-il, asseyons-nous ;
Toi, mon petit Henri, mets-toi sur mes genoux.
Comment ! mais te voilà vraiment grand pour ton âge !
Tu ne grandis pas moins en savoir, je le gage.
Aussi j’ai préparé quelque chose pour toi.
Ah ! tu souris, coquin ; voyons, embrasse-moi !
Vois-tu, dans ce papier, là-bas, sur cette table…
Mais récite d’abord ta tirade ou ta fable.
— Non, c’est un compliment, grand-père, que je sais.
— J’oubliais, mais ce jour me le rappelle assez.
Dans sa bouche trois fois l’enfant tourne sa langue,
Et d’un trait, sans broncher, débite sa harangue.
— C’est fort bien, mon petit, et certes, à présent,
Je proclame tes droits à mon petit présent ;
Ce n’est pas un jouet, babiole futile,
Bagatelle d’un jour, mais un objet utile.
Tu viens d’avoir sept ans, c’est l’âge de raison,
Apprends déjà comment on règle une maison,
Apprends à calculer ; crois-moi, mon petit homme,
Ne gâche pas l’argent, sois toujours économe ;
Avec l’économie, on est toujours sauvé ;
Tiens ! voilà le cadeau que je t’ai réservé.
Tu le verras chez toi, mais fais-en bon usage ;
Embrassons-nous, adieu ! surtout, sois toujours sage !
Garde en ton souvenir mes conseils d’aujourd’hui.
L’enfant s’en va content, et, de retour chez lui,
Développe l’objet avec un soin extrême,

Mais que découvre-t-il ? devinez… un barème !





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