Jésus et le fer à cheval Léon-Louis Buron (1810 - 1895)

En ce temps-là, Jésus, le rédempteur du monde,
Le vainqueur de l’enfer et de l’esprit immonde,
Pour arracher sans doute une proie au trépas,
Vers une grande ville accélérait ses pas ;
Car, essuyer les pleurs, consoler la misère,
Ce fut de Jésus-Christ le bonheur sur la terre.
A son exemple ainsi doit faire un bon chrétien,
Quiconque a le cœur noble, enfin l’homme de bien.
Ses disciples venaient un peu plus loin derrière ;
Mais près de lui marchait celui qui fut saint Pierre.
Ils devisaient entre eux, cheminaient d’un pas lent,
La route étant fort longue et le soleil brûlant.
A leurs yeux, tout à coup, quelque chose scintille :
« Pierre, » lui dit Jésus, « vois, cet objet qui brille :
» C’est le fer d’un cheval ; veux-tu le ramasser ? »
Mais Pierre ne veut pas pour si peu se baisser,
Et, l’air préoccupé, feint de ne pas entendre ;
Jésus, sans insister, va lui-même le prendre.
Ils marchent quelque temps, sans prononcer un mot,
Et rencontrent enfin un tout petit hameau
Où chez un trafiquant de toutes marchandises
Le Sauveur vend le fer, achète des cerises
Du prix qu’il en reçoit, et les met, souriant,
Dans sa manche, selon l’usage d’Orient.
Brûlés par le soleil, épuisés de la course,
Nulle part cependant il ne s’offre une source
Pour étancher leur soif. Un petit filet d’eau,

C’est quelquefois si bon, et c’est toujours si beau.
Il est si doux de voir couler dans la verdure
Un limpide ruisseau ; d’entendre son murmure ;
Sous l’ardente chaleur, quand on se sent fléchir,
De pouvoir à son onde aussi se rafraîchir !
Jésus, qui devinait la souffrance de Pierre,
Toujours plein de bonté, laisse tomber par terre
Une cerise ou deux, comme par accident,
Et Pierre les ramasse et les met sous sa dent.
Comme le fruit sembla faire un plaisir extrême
A ce disciple aimé, deux ou trois fois de même
Une cerise encor de la manche glissa,
Et Pierre, autant de fois, vite la ramassa.
Enfin Jésus lui dit, avec un doux sourire,
(Car ce qu’il faisait là, c’était pour nous instruire) :
« Pierre, il ne faut pour rien avoir trop de mépris,
» La plus petite chose en son temps à son prix ;
» Pour un morceau de fer, qu’aujourd’hui tu méprises,
» Tu perds l’occasion d’acheter des cerises,
» Et de tromper ainsi, ce doux fruit à la main,
» La soif qui te dévore et l’ennui du chemin. »

Ne redoutons jamais de prendre de la peine :
Le plus léger travail procure son aubaine.





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