Le Fermier, le Loup et le Lapin Henry Macqueron (1851 - 1888)

Un Fermier, dans sa terre en faisant une ronde,
Vit un Loup pris au piège. « Oh ! L’animal immonde !
Dit-il, t’y voilà donc enfin !
Pourquoi chez moi ? — Chez toi, qu’à tout diable je voue,
Lui hurla le captif, crois-tu que sans la faim
J’aurais fourré mon nez ? Eh bien ! Oui, je l’avoue,
L’espoir seul de te nuire a pu m’attirer là. »
Dans ce Loup quelle effronterie !
Tous n’en ont pas sans doute autant que celui-là.
« Il m’est dur de sévir, reprend l’homme, et voilà
Que jusqu’en mon pouvoir ta fureur m’injurie.
Ah ! Si le repentir dans ton cœur plus humain
En ce moment avait pu trouver place,
Je ne suis pas si loup, et je t’aurais fait grâce. »
Cela dit, d’un bâton qu’il avait à la main
Il assomme la bête et poursuit son chemin.
À quelques pas de là ce fut autre trouvaille.
L’oreille basse et tout penaud,
Jeannot Lapin, pris au panneau,
Pour s’amincir en vain se tasse et se travaille.
Tout pleurant il parla le premier : il avait
Cueilli du bout des dents la feuille d’un navet.
Encor n’eut-il de condamnable envie
Dans ce malheureux vol, l’unique de sa vie.
C’était pour ses enfants, ses enfants qui souffraient.
« Des enfants, bon monsieur, vous en avez vous-même.
Vous les aimez. Eh bien ! Sans celui qui les aime,
Qui leur donne à manger, qu’est-ce qu’ils deviendraient ?
Ils pâtiraient beaucoup. Ah !Que dis-je ? Ils mourraient !
Tant les petits enfants ont besoin de leur père !
— Fort bien ! Dis le fermier. Oui, j’aime ton bon cœur ;
Et ton air repentant me parle en ta faveur.
Mais veux-tu pour les tiens un avenir prospère ?
S’ils savaient que leur père a commis à son aise
Rien qu’une peccadille avec impunité,
Ce serait un écueil pour leur moralité.
Et même ce cas-ci vaut assez qu’on le pèse. »
Et, pour peser le présent cas,
L’homme emporta Mange-carotte.
Jeannot Lapin était dodu, bien gras;
Jeannot Lapin fut mis en gibelotte.

Pauvre Lapin, ton cœur était bien innocent;
Mais que ton râble était appétissant !

Fable 7




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