La Fermière et la Corneille Louis Auguste Bourguin (1800 - 1880)

Le jour paraît ; la douce brise
Murmure le long des forêts.;
Jeanne, entre deux paniers assise, :
Trottine sur sa jument grise,
Au marché portant ses œufs frais.

Chaque être, ô dieu du jour ! te loue ;
L'oiseau chante dans le buisson,
L'abeille autour des fleurs se joue,
La jument hennit et secoue
La perle humide du gazon.

Une corneille à sa manière
Prend part à ce concert joyeux.
A son cri, rauque la fermière
Tressaille et regarde en arrière,
Cherchant le triste oiseau des yeux.

« Cette voix sinistré, dit-elle,
M'annonce un malheur. » Et sa main
Ne guidant plus la haridelle,
Elle heurte un caillou, chancelle,
Et tombe au milieu du chemin.

Jeanne et sou fragile bagage
L'un sur l'autre sont renversés.
Contre l'oiseau la damé enrage,
Attribuant à son ramage
Sa culbute et ses œufs cassés,

« Maudits soient tes fatals augures,
Toi dont le gosier croassant
Présage accidents, vols, parjures... !
Arrêtez ce torrent d'injures, -
Bonne femme, dit un passant;

La jument est vieille, elle butte,
Surveillez-la mieux désormais :
Car plus d'un sot, qui doit sa chute
A sa seule imprudence, impute
Ses malheurs à qui n'en peut mais. »

Livre V, Fable 22, 1856




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