Sur le bord d'un riant côteau,
Tout près d'un superbe château,
Jadis une simple cabane
Logeait la fermière Susanne :
Cette Susanne avait l'esprit très-sain.
Un jour, s'entretenant avec le chapelain,
Homme d'esprit, de mœurs, pieux sans rigorisme,
Fidèle à son devoir, zélé sans fanatisme ;
Monsieur, lui dit-elle, pourquoi
Suis-je exposée aux douleurs, à la peine ;
Et quelle est donc la dure loi
Qui me force au travail, jusqu'à perte d'haleine
Tandis qu'à ses plaisirs la dame du château
Se livre sans inquiétude,
Fait du jeu son unique étude,
Ne s'embarrasse pas si le tems, laid ou beau,
Sera favorable ou contraire
Aux productions de la terre ?
Le chapelain répondit : mon enfant,
Si le fardeau du travail est pesant,
Il entretient une santé robuste.
N'accusez pas le sort d'être pour vous injuste ;
Chaque état a son agrément ;
Du travail la longue habitude
Le fait supporter aisément ;
Et le repos, après la lassitude,
N'est-il pas un plaisir flatteur ?
L'ennui cruel et sa triste langueur "
Sont inconnus dans une vie active.
Vous voyez dans la perspective
La dame du château livrée à ses plaisirs ;
Ce tableau dans son jour : peut-être des soupirs
Vous prouveront tout le contraire ;
Que son bonheur n'est rien qu'imaginaire ;
Que la mélancolie et les noires vapeurs
Des vapeurs ! qu'est cela, dit la bonne fermière ?
Pour les bien définir je manque de lumière :
Inconnu dans les champs, ce mal tient aux grandeurs ;
Chez les femmes surtout exerce son empire ;
Triste ou gai, sans sujet, il fait pleurer ou rire.
Les vapeurs attaquent l'esprit :
Pour guérir cette maladie,
Qui tient un peu de la folie ?
Le médecin perd son crédit.
Mais la dame vers nous s'avance :
Vous voyez que sa contenance,
Que son air triste et sa langueur,
Ne présagent pas le bonheur.
Pour mieux savoir ce qu'elle pense,
Il faut un peu l'interroger :
Madame, daignez pardonner,
Si j'ose prendre la licence
De m'informer de la santé...
Cher chapelain, ma santé n'est pas bonne :
Depuis longtemps le sommeil m'abandonne ;
Je suis très-mal, en vérité ;
Les maux d'estomac, la migraine,
De mes nerfs les crispations,
Les maux de cœur, les palpitations
Me font respirer avec peine ;
Par-dessus tout, les perfides vapeurs
Mettent le comble à mes douleurs :
Oui, de bon cœur, chère Susanne,
Je voudrais, comme vous n'être que paysanne.
Adieu, plaignez tous mes malheurs ;
Je suis prête à verser des pleurs.
Eh bien ! reprit l'abbé, que dites-vous, fermière ?
Que je retourne à ma chaumière,
Et que je la préfère, avec tous mes travaux,
A grandeur, à richesse, à tous ces beaux châteaux,
Plutôt que d'être aussi chagrine
Que la dame aux vapeurs, avec sa triste mine.
Chacun dans son état peut trouver le bonheur :
Le riche est-il heureux ? souvent tout le contraire ;
Et l'éclat de la grandeur
N'en impose qu'au vulgaire.
Notes :
- La licence, la liberté, la permission. Licence signifie encore liberté trop grande, contraire au respect : se donner trop de licence.
- Migraine. Mal de tête violent , douleur qui occupe la moitié de la tête.
- Crispations. Resserrement, choses qui se replient sur elles. mèmes à l'approche du feu . En médecine , effet à- peu- près pareil dans les entrailles, dans les nerfs.
- Palpitations , battement déréglé et inégal du cœur, ou dilatation et secousse soudaine et contre nature des parties molles du corps, Palpitation de cœur, etc.