Le Sauvage américain Jean-François Haumont (17** - 18**)

Un sauvage, dans son enfance "
Fut amené du nouveau-monde en France
Par un célèbre voyageur,
Et des beaux arts grand amateur,
Qui préférait l'agréable à l'utile ;
Ne connaissait de vrais talents
Que ceux qui sont d'amusements ;
À son avis, le reste était fort inutile ;
Il méprisait aussi le plus profond savant,
Et le plus habile artisan.
Oui, disait-il, la science profonde,
A quoi sert-elle dans le monde,
Où tous les vœux et les désirs
Ne tendent que vers les plaisirs ?
De tels propos enchantaient son pupille.
A ce qui plaît la jeunesse est docile :
Oubliant son pays, sans montrer de regrets,
Dans le nôtre il faisait de rapides progrès ;
Tous les jolis talents, la musique, la danse,
De droit eurent la préférence ;
Il jouait tout au mieux de plusieurs instruments ;
Enfin il excellait dans tous les agréments.
C'en est assez pour plaire en France
Le séjour des plaisirs et de la volupté ;
Par le beau sexe on est fêté ?
On chérit cette récompense.
L'homme partout est inconstant,
Quelque douce que soit la chaîne qui l'engage.
Notre américain n'écoutant
Que son caprice et son humeur volage,
Désira de s'en retourner
Au pays qui l'avait vu naître.
Un jour, il dit à son cher maître :
Je pars, daignez me pardonner ;
Je serai malheureux peut-être ;
Oui, j'abandonne le bien-être ;
Mais un désir impérieux
Me force de quitter ces lieux.
Ah ! ne doutez jamais de ma reconnaissance :
Les talents que je dois à votre bienfaisance,
Dans ces autres climats feront tout mon bonheur.
Quel plaisir charmant pour mon cœur
De faire entendre à ce peuple rustique
Les beaux effets de la musique,
Sur la flûte ou le violon ;
De leur montrer un pas de rigodon.
Après un adieu fort tendre
L'élève part sans plus attendre,
S'abandonnant à son destin ;
Il rencontre en son chemin
Un ami, dont il suit la trace ;
Il arrive au Havre-de-Grâce :
Le premier vaisseau qu'il trouva
Le reçut, part, le mène au Canada.
Débarqué sur le rivage,
Bien accueilli de ce peuple sauvage,
Il s'informe d'abord où sont ses chers parents :
Ils sont peut-être morts ou tout au moins errans "
Répond un chef : nous partons pour la chasse ;
De nos guerriers montrez l'audace.
Mon frère, êtes- vous endurci
A tous les travaux, à la peine ?
Et savez-vous courir un jour sans prendre haleine ?
Du lendemain n'avoir aucun souci ;
Gravir les monts, passer les fleuves à la nage ;
Presque nu, voyager de climats en climats ;
Intrépide dans les combats,
Braver tous les dangers, la mort avec courage :
Voilà ce que nous faisons tous,
Et ce qu'il faut pour rester avec nous.
Au surplus, savez-vous quelque métier utile,
D'un artisan, robuste et fort habile ?
- Fi donc je sais tous les arts d'agréments ;
La musique, la danse, et quelques instruments :
En Europe on est sûr de plaire
Avec tous ces talents. — C'est ici le contraire :
Nous méprisons tes jeux d'enfants.
Si parmi nous tu prétends vivre,
Crois-moi, renonce à tes talents :
Sois homme, et tu pourras nous suivre.

Ne méprisez jamais, dans l'éducation,
De former votre élève au travail, à la peine.
De l'avenir la science incertaine,
Vous impose un devoir de la précaution.

Livre III, Fable 6




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