Le Sauvageon greffé Théodore Lorin (19è siècle)

« Que je suis malheureux ! disait un arbrisseau.
Armé d'un fer tranchant, un féroce bourreau
Sans pitié me mutile, et sa main meurtrière
Introduit dans mon sein une branche étrangère :
Je souffre d'affreuses douleurs.
Moi, calme, inoffensif, devais-je donc m'attendre.
« A tes pleurs, cher enfant, je mêlerai mes pleurs,
Interrompit d'une voix douce et tendre
Un vieux cerisier son voisin ;
Mais crois-en mon expérience :
Arme ton cœur de patience,
Et cesse de gémir. Attendons l'an prochain :
Tu béniras alors la bienfaisante main
Qui t'aura procuré, pour un peu de souffrance,
Un avantage précieux. »
L'arbrisseau l'écouta. La puissante nature
Eut bientôt fermé sa blessure :
Son tronc redevint vigoureux,
Le printemps lui rendit sa verdure riante.
Enfin, au lieu de fruits d'une saveur piquante,
Il se couvrit de fruits délicieux
Qui charmaient à la fois et le goût et les yeux.

Ô mes jeunes amis ! si votre tendre père
Ou votre sage instituteur
Pour vos défauts se montre un peu sévère,
Gardez de murmurer ; car à cette rigueur
Vous devrez quelque jour la gloire et le bonheur.

Livre III, Fable 20




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