La Pie et le Singe Théodore Lorin (19è siècle)

Dans son chemin, un jour, ma commère la pie
Rencontra don Bertrand. « Compère, je vous prie,
Venez admirer les trésors
Qu'avec d'incroyables efforts
J'ai rassemblés. » Elle dit, et l'entraîne
Par des sentiers tracés à peine
Jusqu'au fond d'un bois ténébreux.
Arrivés en ces lieux, elle tourne autour d'elle
Avec précaution un regard soupçonneux,
Et puis tire d'un arbre creux
Mille chiffons entassés pêle-mêle.
Lors, jacassant ab hoc ab hac,
L'oiseau bavard, pour montrer sa science,
Étale gravement l'emphatique éloquence
D'un revendeur de bric à brac.
« Voyez d'abord, dit-il, ce joli coquillage,
Qu'un célèbre navigateur
A ramassé sur un lointain rivage :
Il mérite, sur mon honneur,
L'attention d'un amateur.
Ce morceau d'une belle glace
De Venise, jadis, par un de mes aïeux
Fat rapporté : l'anse de cette tasse
D'un travail fin, délicieux,
Ne serait pas moins précieux
Aux yeux d'un amateur. Cette étofse de laine
Provient de la toge romaine
De Caton, de Cincinnatus,
De Cicéron ou de Brutus.
Ce ruban vient d'une fontange
De madame de Pompadour :
Ce marbre est un fragment du buste de l'Amour
Par notre immortel Michel Ange* :
Ce manche de cou te au.» — « Fais trêve à ton mic-mac
Interrompit Bertrand. Moi, je n'ai dans mon sac,
Pour tout trésor, que des pralines,
Du fromage, des avelines,
Des poires, des pommes, des noix.
Tous ces objets, je le suppose,
Ne viennent point de héros ni de rois ;
Mais dans l'occasion, et c'est bien quelque chose,
Ils fournissent à mes repas. »

Par cette fable, amis, je ne veux pas
Déclarer une injuste guerre
Au laborieux antiquaire.
Gloire aux artistes, aux savants ;
Mais du moins, permettez qu'on rie
De ces amateurs ignorants
Dont la ridicule manie
Enrichit tant de charlatans.

Livre IV, Fable 1




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