La raison chez nos aïeux,
Ou plus timide ou plus sage,
Laissait dominer l'usage,
Toujours bon s'il était vieux.
Aujourd'hui chacun outrage.
Un flatteur dira : « C'est. mieux. »
Corbeau, gare à ton fromage.
Ecoutons les novateurs :
L'essai fait la découverte ;
Mais aussi que d'inventeurs
N'ont rien trouvé que leur perte !
Charlot, fils d'un jardinier,
Avait jouissance pleine
D'un petit coin, son domaine,
Où par semence un prunier
Vint à naitre. Quelle aubaine !
« Je le veux greffer, dit-il ;
Mais si j'écoute mon père,
Comme il fit je devrai faire.
Quoi, toujours suivre le fil
De l'usage héréditaire ?
Laissons la routine aux sots.
Pèches, prunes, abricots
Ne sauraient me satisfaire,
Et je prétends le premier
Recueillir dans ces allées
Des figues sur un prunier. »
Les figues inoculées,
La nature s'en moqua.
L'opération manqua.
« Tant mieux, se dit le novice.
J'avais presque du regret.
La figue est peu mon caprice.
Beau fruit pour un tel sujet !
L'an prochain que de louanges,
S'il nous promet des oranges !
Il en aura sur ma foi.
Mais vaquons à cette affaire
Sans bruit, qu'un rusé confrère
N'en vienne à chef avant moi. »
L'orange aux prunes s'allie.
Sot hymen, qui-fut sa mort..
C'est une étrange folie
De marier l'Italie
Aux froides races du Nord.
Après deux expériences
Poursuivre était un peu fort :
Mais prouvez à nos enfances
Aujourd'hui qu'elles ont tort !
Nouvel an, grefse nouvelle,
Contraire à toutes les lois.
Charlot croissait toutefois ;
La raison quand viendrait-elle ?
Elle tarda trop longtemps.
Le prunier, que sous l'écorce
Eveille aussi le printemps,
Grossit, s'élève, prend force,
Bien coiffé, droit comme un jonc ;
Mais à la fin sa nature
Pour s'amender fut trop dure :
Il demeura Sauvageon.
On cède en mainte famille
A cet orgueil décevant.
« Je veux que mon George brille ;
L'esprit dans ses yeux pétille.
Nous en ferons un savant. »
Tour à tour il étudie
En droit, en théologie,
En médecine, et si bien
Que George, taillé pour être
Dun bon métier passé maitre,
Prend de l'âge et puis n'est rien.