Quoi, Léonard travaille encore ?
Après quatre-vingts ans toujours la bèche en main ?
Voisin, c'est a vos fils de réveiller l'aurore.
Qui vous presse au bout du chemin ?
Comme à nos guerriers intrépides,
Si le ciel m'est fait roi, pour le vieux campagnard
J'aurais bâti des Invalides,
Et vous y seriez, Léonard. —
Merci, me dit l'octogénaire,
Mais s'il me plait de ne rien faire,
A quoi ben quitter mon logis ?
Assez souvent mes petits-fils
Mont dit : « Reposez-vous, grand-père. »
Vraiment ce n'est pas mon avis.
Aux confins de notre héritage,
Voyez prés du ruisseau ce vieux Saule ébranché.
Il n'a plus que l'écorce, et, sur l'onde penche,
Se prépare au dernier voyage.
Enfin c'est ma fidèle image.
Un jour assis auprès, je plaignais son destin.
« Pauvre arbre, qu'autrefois j'avais planté moi-même !
Du fer la rigueur est extrême
Qui put l'émonder ce matin,
C'est bien sans mon aveu qu'un ouvrier peu sage
Leva tribut sur son vieil âge.
Qu'il repose après tant de maux !
Des ans pour déguiser l'outrage,
Laissons-lui ses derniers rameaux. »
J'étais, vous le voyez, d'humeur compatissante ;
Mais le vieux Saule m'entendit,
Et, merveilleux oracle, une voix en sortit :
« Tes faveurs n'ont rien qui me tente,
Quoi, tu me laisserais chômer !
Et tu dis la serpe cruelle !
C'est elle que je dois aimer,
Qui rend ma sève active et ma vigueur nouvelle.
Déjà courbé comme tu vois,
D'un luxe de rameaux soutiendrais-je te poids ?
Bientôt, pour grâce singulière
J'irais mesurer la rivière.
Ebranche-moi souvent ; j'y suis fait, Léonard.
Changement de régime est funeste au vieillard. »
Ainsi parla le Saule, et sa voix était sage.
Je voudrais ne m'asseoir qu'au terme du chemin,
Et toujours combattant la paresse de l'Age,
Mourir les armes à la main.