Le Fermier, le Chien et le Chat Claude-Joseph Dorat (1734 - 1780)

Un Fermier prenait son repas.
Autour de sa table rustique,
Rode son chien nommé Monflas,
Son favori, son confident unique,
Ecartant du banquet le plus maigre des chats,
Comme aussi le plus famélique.
L'un, en grognant, ronge des os,
Happe un croupion, lèche une assiette.
C'est tous les jours chère complète :
Homère ainsi fait dîner ses héros.
L'autre, affectant une humble contenance,
Conforme, hélas ! à son malheur,
Dérobe à peine une courte pitance,
Puis est chassé comme un voleur.
A la fin il parle à son maître :
Pourquoi me nourrir mal, quand je me conduis bien ?
Mouflas a tout ; Ratapolis n'a rien.
Un chat moins timoré s'en vengerait peut-être ;
Mais je suis patient un peu plus que ton chien :
Je te sers mieux que lui, malgré tes injustices.
Hipocrite, dit le Fermier,
A ceux d'un chien peux-tu comparer tes services ?
Le mien a tous mes goûts et suit tous mes caprices.
Dans les champs vais-je m'égayer ?
Mouflas, avant-garde fidèle,
Sur mes pas chasse le gibier,
Et des barbets est le modèle.
Faut-il traverser un étang,
Pour atteindre l'oiseau sauvage ?
Vite mon chien est à la nage,
Et me le rapporte, à l'instant.
Si tu veux des faits plus utiles
N'est-ce pas lui dont le secours
Des fripons défend ces asyles ?
Il m'assure des nuits tranquilles,
Et fait le charme de mes jours.
Puisque j'ai dû te rendre compte,
Voilà pourquoi tu m'as vu le choyer.
Toi, fuis de ma présence et vas mourir de honte
Sur la paille de mon grenier.

IL obéit ; mais le drôle, en silence,
Garde le souvenir d'un si dur traitement ;
Et va méditer sa vengeance :
Elle ne tarda pas ; nous allons voir comment.
Sans qu'on lise rien sur sa mine,
Il cesse en tapinois de faire son métier :
Il rêve sur un toit et dort dans un panier,
Ou végète dans la cuisine.
Il mange encor quelques oiseaux,
Mais par distraction... sa griffe est sous l'hermine ;
Tel fut Achille oisif dans ses vaisseaux.

Arrivent les effets et son plaisir commence.
Débarrassés de leur fléau,

Depuis dix jours les rats sont en vacance.
Ils vont du grenier au caveau ;
Pour rapiner ils se divisent,
L'un monte au croc, où pend du lard nouveau ;
D'autres au moulin s'introduisent,
Et s'enfarinent le museau ;
Et Ratapolis de sourire,
Enveloppé dans son manteau.
Il n'aurait pas, pour un empire
Croqué le moindre souriceau.

Le maître, enflammé de colère,
Trop tard s'aperçoit du dégât.
Il voit qu'un chien n'est pas seul nécessaire,
Et qu'un Fermier a besoin de son chat.
Payer les actions d'éclat,
C'est une dette et c'est une justice :
Mais des petits dépriser le service,
C'est faire un larcin à l'Etat.

Livre I, fable 10




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