Certain fermier avait enfermé par mégarde
(Peut-être était-il ivre, hélas !)
Un gros chat dans une mansarde,
Ou déjà se trouvait un fromage très-gras.
Le matou, voyant cette proie,
Se jeta dessus avec joie,
Et le mangea d’abord tout naturellement
Avec un grand contentement.
On voit beaucoup de gens suivre ainsi leur nature,
Surtout les pourceaux d’Epieure,
Et bien d’autres assurément ;
Le pis, c’est qu’on on voit conclure
Que leur nature est bonne, et qu’ils ont bien le droit
De la suivre toujours, et que plus d’un le croit.
Le fermier de retour, constate avec colère
Que son gras fromage est absent :
Lors, il voit le perfide assis sur son derrière,
Et par son air doux paraissant
Être du larcin innocent :
C’est toi, dit-il au chat, c’est toi, méchante bête,
Qui m’a pris mon fromage, et veux m’en imposer
En cherchant à te composer,
Mais bien en vain, un air honnête.
C’est vrai, je l’ai mangé, lui répondit le chat,
Et ne m’en repents point *, il était délicat ;
Mais j’ai cru que c’était un gage
De votre générosité,
Car vous avez pour sûr trop d’esprit en partage
Pour donner à des chats à garder un fromage ;
Est-ce que, par hasard, vous on auriez douté?
Non pas, dit le fermier, qui se sentait flatté
Avec des mots flatteurs on vous vole, on vous pille,
Et souvent même on vous fusille.