« Ingrats ! disait à ses moutons
Un opulent fermier : de soins de toute espèce
Nous entourons votre faiblesse ;
Envers vous nous sommes trop bons,
Mon vieux berger et moi. Votre progéniture
Reçoit, ainsi que vous, une ample nourriture :
Dans une chaude et commode maison
Nous vous logeons l'hiver : par nous votre toison
Est constamment tenue et si nette et si pure !
Au lieu d'être reconnaissants
De ces bienfaits, de ces soins si touchants,
Froids et craintifs à notre approche,
Vous paraissez nous fuir. » Piqué de ce reproche,
« Maître, dit un bélier, vous vantez vos bienfaits.
Votre incessante surveillance
Entoure, dites-vous, notre faible existence,
Et vous nous procurez l'abondance et la paix.
Mais cette active bienfaisance
N'a pour but que vos intérêts.
Avec amour, avec tendresse
Si vous élevez nos petits,
Si par vous nous sommes nourris,
C'est qu'eux et nous faisons votre richesse.
Si dans une chaude maison
Vous nous logez l'hiver, et si notre toison
Par vous dans une onde argentine
Est si souvent lavée, on en sait la raison ;
C'est pour rendre la laine et plus douce et plus fine.
Enfin, si nous voyons vous et votre berger,
La nuit comme le jour, avec des soins extrêmes,
Contre les loups nous protéger,
N'est-ce pas, dites-moi, pour nous manger vous-mêmes ?