Un vieux renard (raconte un fabuliste
Qu'à bon droit l'on peut admirer,
Sans cependant le comparer
A celui qui chez nous trouva plus d'un copiste
Mais qui n'eut jamais de rival)
Un renard, dis-je, atteint de certain mal
Qui le faisait trembler pour sa coupable vie,
Avait fait vœu, s'il pouvait réchapper,
De s'amender, et de ne s'occuper,
Jusqu'à sa mort que d'œuvre pie.
« Oui, dit-il, convertissons-nous :
Du ciel désarmons le courroux.
C'en est fait, je renonce au meurtre, à la rapine ;
Aux dépens de la gent géline
Je n'assouvirai plus mon appétit glouton,
Et je ne croquerai ni poule, ni chapon. »
Par malheur, au moment où la grâce divine
Opérait sur notre larron,
Dans une basse-cour voisine,
Il entend le coquerico
D'un jeune coq : voilà ses serments à vau-l'eau.
Il oublie à l'instant ses douleurs, sa faiblesse :
N'écoutant plus les remords ni la peur,
Sur ses quatre pieds il se dresse
Et court dévorer le chanteur.
Ne rions pas, car tous tant que nous sommes,
Sans la moindre pudeur nous en faisons autant :
Promesses et serments des hommes
S'envolent sur l'aile du vent.
Chaque matin le biberon Grégoire
Sur ses grands dieux jure de ne plus boire,
Et chaque soir le trouve au cabaret :
Sa femme jure aussi d'être douce et fidèle ;
Or chacun sait ce qu'il en est.
Moi-même, hélas ! suis-je plus sage qu'elle ?
J'ai maintes fois juré de ne plus employer
Mon temps à griffonner fable, chanson nouvelle,
Conte, ou telle autre bagatelle :
Sous ma main je rencontre encre, plume, papier ;
Et me voilà rimaillant de plus belle.