— Oh ! si j'étais celui dont monsieur le Curé
Nous parle si souvent les dimanches, au prône,
Celui qui, nous dit-il, tout là-haut sur son trône,
Pour féconder nos biens, nous envoie à son gré
Le froid et la chaleur, la pluie «t la rosée,
Que je saurais plus à propos
Humecter, réchauffer la terre ensemencée,
Et de nos Mes à peine éclos
Écarter et la neige et la bise glacée !
Mais non ! quand il nous faut du soleil, un beau temps,
Il nous donne du froid, et quand un temps humide
Nous conviendrait, alors un vent brûlant, aride
Vient vite dessécher et nos prés et nos champs.
C'est ainsi que tout haut s'exprimait dans la plaine
Un fermier mécontent, qui, d'une peur soudaine,
Tressaillit, en voyant tout-à-coup à ses yeux
Paraître l'envoyé du puissant Roi des Dieux.
— Mon maître vient d'ouïr ton odieux blasphème,
Lui dit le messager du monarque suprême,
Il pouvait te punir de ton impiété ;
Inépuisable en sa bonté,
Il te fait grâce, il te pardonne,
Il fait même plus, il te donne
Le pouvair que tu désirais.
Tu peux donc d'un mot, désormais,
Faire le chaud, le froid et la pluie, à ta guise,
Mais, note bien ce point, il faut, n'y manque pas,
Car telle est du Très-Haut la volonté précise,
Qu'à l'avenir chacun soit content ici-bas.
Mon homme tout joyeux s'empresse
De faire, avec serment, promesse sur promesse,
S'engageant à n'user de son nouveau pouvair
Que sagement après avoir
Très longtemps médité sur la chose publique.
De tout régler au mieux, notre Grosjean se pique.
Devenu souverain de l'empire des airs,
Il entasse d'abord nuage sur nuage,
Fait briller dans le ciel de rapides éclairs,
Se donne le plaisir de faire un bel orage.
Mais bientôt il entend des voisins irrités
Les diverses clameurs surgir de tous côtés.
— Eh ! qu'avons-nous besoin de pluie,
En jurant, blasphémant, s'écrie
Celui-ci dont les champs ne demandaient pas d'eau.
— Non, ne l'écoute point, fais, fais pleuvoir à seau,
Réplique celui-là, mes prés déjà jaunissent,
Veux-tu que tout-à-fait ils sèchent et flétrissent ?
— Fais bien vite souffler le vent,
Crie encore plus fort le meunier du village,
Mon pauvre moulin en chômage
Depuis quinze jours en attend. »
Sur ce, notre fermier in petto délibère,
Et comme alors ses champs se trouvaient en jachère
Et tous ses prés
Fort altérés,
Il répond aux partis adverses
Par de torrentielles averses.

Tel, lors de nos élections,
Un politique personnage
Fait pour capter nos voix mille abnégations,
Met sa foi, sa parole et son honneur en gage ;
Mais vienne, hélas ! le jour où ses engagements,
Avec ses intérêts, seront mis en présence :
Adieu, promesses, beaux serments,
Adieu la pauvre conscience.

Livre II, fable 6




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