Proserpine aux Enfers Jacques Cazotte (1719 - 1792)

Parmi tons les tyrans divers,
Destinés à servir le courroux des enfers,
L'ennui n'est pas l'un des moins redoutables :
Tout ressent son pouvoir en ces coupables lieux ;
Et Pluton , sur son trône affreux ,
Bâille , ainsi que Minos, les ombres et les diables.
Proserpine est à l'unisson,
Et la raison aisément s'en devine.
Un palais, couleur de charbon ;
Un époux brun , d'humeur chagrine ;
A son couvert, un plat de la cuisine
De la dégoûtante Alecton.
Tous les spectacles de la ville,
Sont le Sisyphe, l'Ixion,
Ou les sauteurs j la troupe est fort agile :
C'est une bande de démons.
Veut-on le bal, qu'on aille aux Danaïdes;
On trouvera les Euménides
Qui leur donnent les tiolon6.
Prendra-t-on l'air aux Elysées ,
On voit là ces beautés usées,
Si célèbres dans l'univers
Par notre prose et par nos vers;
Des parures d'un goût antique ,
Des héros chamarrés de fer.
Pas une nouveauté qui pique ,
Pas un seul homme du bel air ;
L'amusement doit être mince.
Si quelqu'un ne m'en croyait pas,
Qu'il aille écouter sur le cas
Une intendante de province.
Proserpine avait bien raison
De regretter les plaisirs de la terre.
D'abord, tout est comparaison.
L'enfer n'ayant qu'un hémisphère,
Un été calcinant est la seule saison.
Puis un nébuleux horizon,
Puis un entourage uniforme.
Les gens et leur habit, rien ne change de forme.
Ce qu'on a vu toujours , sans cesse répété,
Engendre le dégoût et la satiété.
Là, contre les vapeurs , dont le poids vous excède,
On ne connaît pas de remède.
Chez les morts, il n'est point d'empirique assassin.
On n'y voit pas de médecin ;
Pour échapper à l'ennui qui l'oppressa ,
Que ferait donc la dolente déesse,
Si, sur les bords de l'Achéron ,
On ne trouvait la gondole à Caron,
D'où l'on voit débarquer sans cesse,
Les vieillards parmi la jeunesse,
Et, pêle-mêle , confondus,
Les rois et les goujats en ces lieux descendus ?
Ce qui se passe sur la terre,
Des propos devient la matière.
Vous en venez : qu'y faisait-on ?
On n'y faisait rien qui fût bon ,
Vous répond l'un ; l'autre , qu'à l'ordinaire
On copiait ce qu'on avait vu faire....
S'a muse-t-on.... on cherche à s'étourdir....
Vous laissâtes des biens?... Je n'en sus pas jouir.
On ne fera pas mieux ; j'ai laissé le souci,
Qu'il faut un jour venir ici...
Mais vous retourneriez..... Je n'en ai nulle envie:
La mort m'apprend ce c'est que la vie.
Je suis las de tous ses faux biens,
Et de courir après des riens.
Avec son style laconique,
Dit Proserpine à ses plus confidents ,
Cette ombre est bien mélancolique;
Elle a mal vu par tout ce que j'entends ;
Je pourrais mieux choisir mes passe-temps.
Voyons ailleurs. Une beauté pudique ,
Dont l'air serein , dont les yeux innocents
Annoncent l'âme véridique,
S'offre aux regards. On l'engage à causer.
Dans un âge aussi tendre , en peut-on imposer?
Quoi! des liens du corps, aussi jeune arrachée,
Vous arrivez ici sans paraître touchée :
Ne regrettez-vous point les agréments divers
Dont vous deviez jouir dans cet autre univers ?
J'avouerai franchement > dit la jeune personne ,
Qu'à l'instant de partir j'avois bien du regret.
Le sort me destinait à porter la couronne ;
Avec un prince aimé , mon hymen était prêt.
Il faut mourir : je vois venir Mercure;
Il m'emballe dans sa voiture.
Je ne sais par quel intérêt,
Ce Dieu s'empresse à calmer le regret
Auquel mon âme s'abandonne.
Quoi ! vous pleurez , dit-il ; mais vous êtes trop bonne.
J'ai toujours dans ma poche un livre du destin :
Si son arrêt, que j e crois très bénin,
Eût prolongé vos destinées,
Après de nombreuses années,
Voici quelle eût été leur fin :
Sensiblement vous auriez vu s'éteindre
Ce feu si doux, ces transports ravissants,
Ces désirs toujours renaissants,
Que vous sentiez, qu'on aimait à vous peindre ;
Que tout demeure éteint, c'est peu de chose encor.
La cendre en disparaît sous les glaces du Nord.
Dès-lors , ou vous régniez un autre vous remplace.
Vainement vous gardez les honneurs de la place :
On obéit au choix que couronne l'amour,
^ Et vous voilà sujette en votre propre cour.
Bientôt votre beauté perd tout son privilège :
Voici venir des ans le lugubre cortège:
Les maux sont à la suite.... Ah ! Mercure , arrêtez !
M'écriai-je , éloignons ces tableaux détestés ;
De cent mille trépas vous affligez mon âme ;
La Parque me servit en abrégeant ma trame ;
Mais à m'instruire ici, dès que vous vous plaisez ;
Ne pouvez-vous me dire où vous me conduisez?
Le Dieu me répondit : Je ne saurais le taire.
L'aspect de ce séjour ne peut que vous déplaire :
Figurez-vous un chemin épineux ,
Ennuyeux, excédant, mais qui conduit à mieux.
Ou vous avez vécu tout n'est qu'en espérance,
Hors les maux à souffrir , quand tout est jouissance "
Oit vous devez aller... Mais sera-ce dans peu?
Je n'en sais rien, m'a répondu le Dieu ;
Ou mon livre finit, là finit ma science.
La déesse a tout écouté :
Jusqu'ici son penchant se tournoit vers la terre;
Par tout ce qu'elle apprend son plan est dérouté.
Sa tête va de sphère en sphère.
Des choses d'ici-bas qu'un autre prenne soin :
Elle se ressouvient que Cèrès est sa mère,
Et que l'aide d'un Dieu peut la mener bien loin.
Mais il me vient quelque scrupule;
Il doit paroître ridicule
Que fille de Cérès , épouse de Pluton*,
Proserpine ignorât ces choses :
Elle n'avait donc pas lu les métamorphoses?
Ne rien savoir était jadis un ton.

Fable 20




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