Que la fortune est inconstante !
Rarement ses faveurs passent du père au fils :
De ces derniers j'en nommerais cinquante,
Qui des biens paternels n'ont que quelques débris.
Un père avec ardeur amasse
Des richesses à son enfant ;
Mais le luxe à son tour répand
Ces biens que l'avarice entasse.
Un Avare opulent possédait un verger
Qui lui rendait en abondance
Le plus beau fruit qu'on puisse voir en France,
Peut-être même au pays étranger.
Mais telle était constamment sa manie,
Qu'il n'en avait jamais goûté,
Que quand le fruit était gâté.
Était-ce-là jouir des douceurs de la vie ?
En récompense il avait un enfant
D'un goût tout-à-fait différend
Ce jeune fils était d'une humeur libérale :
Il en faisait sa vertu capitale.
A venir au fruitier il invitait souvent
Ses compagnons et leur disait en somme :
Prenez, amis, mangez et poire et pomme,
Tant que vous en voudrez ; ne les épargnez pas.
Importez-en encor chez vous pour vos repas :
Nous en avons, Dieu merci, suffisance.
Prenez le meilleur fruit et faites-en bombance.
Mais surtout au pourri gardez-vous de toucher :
Mon père pourrait s'en fâcher.
C'est de notre fruitier tout ce qu'il se réserve,
Et qu'il veut qu'au dessert chaque jour on lui serve.
De l'Avare admirez et plaignez le destin.
Loin de jouir des biens que le ciel favorable
Lui départ largement, il se rend misérable,
Épargne pour un Fils prodigue et libertin,
Qui mange, qui dissipe et perd tout à la fin.