Un homme hautement se plaignait
Que l'aveugle fortune à ses vœux échappait.
Il possédait pourtant des biens, de la richesse,
Et tout autre à sa place eût été satisfait.
Mais son bonheur était de cumuler sans cesse ;
De l'or et puis de l'or, voilà ce qu'il voulait.
On le voyait parfois, errant sur le rivage,
Parcourir le terrain d'un pas précipité ;
Ou tout seul franchissant le lieu le plus sauvage,
Invoquer, à grands cris, cette divinité.
Enfin, aimable et souriante,
La fortune, à ses yeux, daigna se présenter ;
Et d'une roche ardue, en lui montrant la pente,
Lui dit : c'est là qu'est l'or, c'est là qu'il faut monter.
Mais considère avant, cette horrible vallée,
Ces chemins escarpés, ces rapides torrents,
Ces neiges, ces glaçons, ces buissons déchirants,
Enfin, ce roc affreux, à la tête pelée !
Oseras-tu braver des dangers aussi grands ?
Si tu l'oses, du moins, agis avec prudence,
Mesure bien tes pas, et suis droit ton chemin ;
Car le trépas le plus certain
Serait le fruit de ton imprévoyance...
Intrépide, il s'élance avec rapidité,
Et par un effort magnanime,
Bientôt, de la montagne, il atteignit la cime,
Et beaucoup d'or s'offrit à son avidité.
Il s'en chargea vraiment outre mesure ;
Oublieux du conseil si sagement donné ;
Mais de suite on le vit, des dieux abandonné,
Par un saut périlleux, payer avec usure
De l'or, rien que de l'or, le goût désordonné.
Nous disons tous les jours la fortune est volage ;
Nous l'accusons des maux dont nous sommes auteurs :
Mieux avisé, moins avide et plus sage
Que l'homme éviterait bien souvent des malheurs.