Sans gîte, sans argent, réduit à la besace,
Un Malheureux se lamentait.
Fortune, disait-il, ah ! que t'ai-je donc fait ?
Et quel est le motif de ma longue disgrâce ?
Ne puis-je de ta main arracher un bienfait ?
Fortune, n'attends pas que la nuit éternelle,
Dans son obscurité m'enferme pour toujours ;
Hâte-toi, viens à mon secours !
C'est un Malheureux qui t'appelle.
Comme il disait ces mots, la volage immortelle,
Descendant tout à coup des célestes lambris,
Se montre à ses regards enchantés et surpris.
Bonhomme., lève-toi, dit-elle ;
A tes vœux trop longtemps, je fus sourde ou rebelle.
Mes trésors aujourd'hui le seront découverts :
Monte sur ce nuage, et suis moi dans les airs !
Le bonhomme obéit. Le voila dans la nue.
Après avoir des cieux traversé l'étendue,
Le nuage s'abat sur des rochers déserts.
Ici, dit la Fortune, une grotte profonde
Conduit en apparence, à l'empire des morts.
C'est dans ses vastes flancs que loin des yeux du monde,
Je recèle tous mes trésors.
Tu peux y pénétrer, ajouta la Déesse,
Et, visitant des lieux interdits aux humains,
Puiser toi-même, à pleines mains,
À la source de la richesse.
Près de ces monceaux d'or cherche à te contenter.
Charge-toi. Dusses-tu laisser ma grotte vide,
J'accorde à ton désir avide
Tout ce que sur ton dos tu pourras emporter.
Mesure cependant ta charge, de manière
Qu'une fois hors du souterrain
Tu puisses faire ton chemin,
Et regagner, à pied, ta retraite ordinaire.
Je ne t'impose pas de plus sévère loi :
Si tu l'enfreins, malheur à toi !
Ainsi s'expliqua la Déesse,
Et soudain elle disparut.
Le vieux bonhomme, plein d'ivresse,
À la grotte aussitôt courut.
L'or et les diamants en tapissaient l'entrée ;
Jamais on n'en vit tant dans aucune contrée,
À la cour d'aucun roi, chez aucun bijoutier :
C'était le Pérou tout entier.
Notre homme émerveillé profite de l'aubaine,
Et, sans perdre un moment, puise dans le trésor.
Il charge sur son dos de nombreux lingots d'or,
Et de bijoux de prix, mainte et mainte centaine.
Ce qu'il ne peut saisir, il l'avale des yeux,
Et ne sort qu'à regret. Une bête de somme
Eût fléchi sous le faix que portait le bonhomme.
Il n'était pas moins lourd, pour être précieux.
L'infortuné le vit. Sitôt qu'il est en route,
De son front la sueur sur la terre dégoutte ;
Et, malgré le bâton qui lui prête un appui,
Ses genoux chancelants se dérobent sous lui.
A chaque pas qu'il fait, sa marche est ralentie.
Vaincu par sa faiblesse, il succombe à la fin,
Et tombe au milieu du chemin,
N'ayant plus qu'un souffle de vie.
Forcé de lâcher son trésor,
Il tend en vain les bras pour le serrer encor.
Le trésor avait fui, tel qu'on voit dans l'espace^
Un rapide nuage, orné de franges d'or,
Fuir devant l'aquilon qui lui donne la chasse.
Le pauvre Malheureux n'embrasse que du vent,
Accuse la Fortune, et se vouant au diable,
Se reconnaît plus misérable
Qu'il ne l'était auparavant.
Mais vainement il se consume
En reproches pleins d'amertume ;
La Fortune, pour cette fois,
Fut tout-à-fait sourde à sa voix.
Au moment d'expirer^ lé vieillard se résigne
A son cruel destin. Ah ! dit-il, si je meurs,
C'est que j'ai brigué des faveurs
Dont je sens que j'étais indigne.
Même, quand de ses dons on nous voit abuser,
Nous fatiguons le ciel d'une plainte importune ;
Et de nos propres torts loin de nous accuser,
Nous en accusons la fortune.